L’art d’imiter la nature

Avoir des dents parfaites est aujourd’hui une évidence. Pour les patients, la fonction seule ne suffit plus, l’esthétique de leurs dents est devenue partie intégrante du bien-être. La dentisterie moderne ne se contente ainsi plus uniquement de proposer un traitement curatif et reconstructeur, elle offre également des solutions esthétiques. De plus, les procédures de traitement peu invasives sont l’objet d’une demande croissante. En tant que professionnels de l’art dentaire, il est de notre responsabilité d’agir selon des principes éthiques et de proposer les meilleures options de traitement possibles. Dans certains cas, cela implique d’explorer de nouvelles possibilités. Par exemple, les dyschromies sévères doivent-elles nécessairement être masquées par un matériau opaque et au prix d’une mutilation importante, ou pouvons-nous trouver un moyen plus esthétique de « couvrir » les dyschromies tout en préparant la dent a minima ?

Etude de cas

L’idée est de considérer la structure de la dent comme une alliée plutôt qu’une adversaire et de relever le défi intelligemment. Le disilicate de lithium (« IPS e.max Press ») peut devenir un allié de choix. Ce matériau peut être utilisé pour réaliser des facettes pelliculaires aussi fines que des lentilles de contact, qui seront ensuite collées sur les dents. La pérennité et l’aspect naturel de ce type de restaurations sont indiscutables.

Analyse

La patiente se présente au cabinet dentaire afin de trouver une solution pour masquer la dyschromie sévère de ses dents maxillaires et mandibulaires ; (Fig.1).

Fig.1 : Vue préopératoire : la patiente souhaite masquer les colorations de ses dents. Nous planifions un traitement par facettes céramiques pressées.

Le but du traitement étant de nature esthétique, il est primordial de respecter les principes de la dentisterie minimalement invasive. Une fois le diagnostic établi, nous discutons avec la patiente et nous élaborons le projet esthétique.

Chaque cas est documenté par des photographies des expressions du patient sous différents plans. La réalisation d’un « Wax-up » diagnostique découle de l’étude du cas et matérialise les modifications envisagées avec la patiente.

La situation initiale étant correcte en termes de morphologie, seules de menues retouches sont apportées : correction de la rotation de la 12, et fermeture du diastème entre 11 et 21 comme souhaité par la patiente.

Principes biomimétiques

Nous suivons les principes biomimétiques chaque fois que nous le pouvons et nous essayons de préserver au maximum la structure saine de la dent. Les matériaux modernes procurent ce dont nous avons besoin pour relever ce défi. Les propriétés de nombreux matériaux tout-céramique sont pratiquement identiques à celles de l’émail, et permettent de reproduire les caractéristiques de teinte de la dent naturelle. Avec des techniques adaptées et des restaurations ultrafines, il est possible d’obtenir un maximum de naturel. Dans le cas présent, nous décidons de tirer le meilleur des propriétés optiques du disilicate de lithium. La faible opacité de la céramique pressée, souvent considérée comme un inconvénient pour les facettes, devient en réalité notre « amie » dans ce projet. Le choix classique serait de réaliser pour cette patiente de facettes hautement opaques sur des dies réfractaires, ce qui est une procédure assez complexe. Notre approche, pourtant, consiste à rendre les colorations diffuses plutôt qu’à les masquer complètement. Les facettes en disilicate de lithium pressé agiront comme un filtre optique. Elles laisseront passer la lumière, mais elles la disperseront de la même manière que le ferait le tissu dentaire naturel.

Choix du lingotin

Nous devons réussir à ne retirer qu’une infime quantité de structure dentaire et ensuite masquer la dent en donnant l’illusion qu’il s’agit d’émail naturel. Nous choisissons le lingotin (« IPS e.max Press ») adapté avant de préparer les dents, en tenant compte du potentiel lumino- optique du matériau.

Dans les cas où les dyschromies doivent être totalement recouvertes, il est conseillé d’utiliser un lingotin hautement opaque. Nous avons cependant besoin dans ce type de restaurations de beaucoup d’espace pour reproduire l’interaction des couleurs. Dans le cas présent, nous choisissons donc un lingotin de pressée d’une faible translucidité (LT). Nous prévoyons de presser des armatures puis de les stratifier. La décision d’utiliser un lingotin translucide afin de traiter une denture dyschromiée peut sembler plutôt inhabituelle. Pourtant, elle part d’une analyse méticuleuse de la situation et des propriétés optiques du matériau. L’idée veut que les facettes agissent comme des filtres optiques qui changeraient la teinte du tissu dentaire. La nature nous inspire : l’émail dentaire n’est pas transparent, mais translucide. Il diffuse la lumière et donc modifie la couleur de la dent.  

Préparation

Nous utilisons une clé en silicone tirée du « Wax-up » comme référence lors de la préparation de la dent. Une faible épaisseur de structure dentaire est éliminée dans la zone esthétique de la dent. Afin de définir la profondeur de préparation de l’émail, nous réalisons des stries horizontales de référence ; (Fig.2). La clé en silicone est réalisée à partir du « Wax-up », sur le modèle. Le défi consiste à cacher efficacement les dyschomies et, en même temps, à créer une apparence naturelle par le biais de restaurations ultrafines. L’idée de la biomimétique est de considérer la nature comme un professeur.

Fig.2 : Préparation peu invasive : les stries de référence horizontales définissent la profondeur de pénétration dans l’émail.

Le travail au laboratoire

La situation a été améliorée à l’aide du « Wax-up » ; (Fig.3).

Nous allons alors réaliser les restaurations en céramique. Les facettes en céramique sont fabriquées selon la technique habituelle de pressée avec les lingotins (« IPS e.max Press LT ») ; (Fig.4).

Essayage

  • Fonctionnel : un ajustage précis est essentiel. Nos restaurations s’ajustent parfaitement (« IPS e.max » est précis à 50 micromètres, ce qui est idéal).
  • Esthétique : la colorimétrie finale des restaurations est simulée à l’aide des pâtes d’essayage à base de glycérine et nous choisissons la teinte du composite de collage (« Variolink Veneer ») appropriée ; (Fig.8).
Fig.8 : Avant d’être collées, les facettes sont essayées à l’aide de pâtes d’essayage glycérinées destinées à simuler le résultat final et choisir la bonne teinte de composite de collage (« Variolink Veneer »).

Choix de l’adhésif

Comme la rétention des facettes dépend entièrement de la force d’adhésion sur la dent, il est impératif d’utiliser un système adhésif avec un mordançage préalable qui donnera d’excellents résultats (ex. : « ExciTE F DSC »).

Matériau de collage

Les composites de collage photo polymérisables sont préférables pour le collage des facettes en raison de leur esthétique durable (stabilité) et leur facilité de mise en œuvre. Pour ce cas, nous choisissons un matériau qui renforcera les qualités lumino-optiques souhaitées (« Variolink Veneer Value+2 ») ; (Fig.9). Un matériau hautement translucide aurait donné un aspect grisâtre aux facettes.

Fig.9 : Lorsque nous choisissons le composite de collage, nous tenons compte de la teinte des dents préparées. Notre choix se porte sur le matériau « Variolink Veneer High Value +2». Un composite de collage hautement translucide aurait donné un aspect grisâtre aux restaurations.

Champ opératoire

Nous recommandons la mise en place d’une digue autour de chaque dent. Isoler avec une digue ne gêne pas le positionnement des restaurations et présente de nets avantages :

  • le praticien peut se concentrer sur chaque dent, les surfaces préparées peuvent être sablées sans risque pour le patient d’inhaler des particules d’alumine
  • les excès de composite se retirent facilement.

Adhésion

Les dents sont délicatement microsablées pour retirer l’agent adhésif des restaurations provisoires ; (Fig.10). Elles sont ensuite mordancées à l’acide orthophosphorique à 37 %, puis nous appliquons le « Primer » et l’adhésif pendant 40 secondes et nous séchons la surface ; (Fig.11).

Les matériaux sont photopolymérisés pendant une minute. Les restaurations sont mordancées à l’acide fluorhydrique pendant 20 secondes, puis soigneusement rincées et conditionnées à l’aide d’un silane, et enfin recouvertes d’un adhésif non photopolymérisé. Le composite de collage est placé dans l’intrados des éléments, et les facettes sont mises en place. Les excès de colle sont retirés. Enfin, nous photopolymérisons les restaurations pendant 40 secondes à haute intensité (1 200 mW / cm2 ; « Bluephase 20i »).

Finition des restaurations

La digue est retirée et nous finissons soigneusement les zones cervicales. Nous utilisons une lame de bistouri n°12 afin de ne pas risquer d’endommager la surface céramique. Enfin, nous contrôlons l’occlusion statique et dynamique. Le résultat est réellement satisfaisant. Les dyschromies sont masquées, et les restaurations présentent une teinte naturelle, translucide et lumineuse. L’association des facettes, du matériau de collage et de la dent procure une structure hautement résistante comparable à celle de la denture naturelle ; (Fig.12 et 13).

Les facettes pelliculaires s’intègrent harmonieusement dans leur environnement. Le résultat ne montre plus aucune dyschromies. Les principes fondamentaux de la biomimétique ont été respectés.

Obtenir des dents parfaites est aujourd’hui une exigence des patients. Dans le cas décrit ici, les facettes en disilicate de lithium pressé offrent un moyen efficace d’obtenir un équilibre naturel entre l’opacité (masquage) et la translucidité (vitalité). Les dents ainsi restaurées affichent une parfaite intégration, parodontale et colorimétrique ; (Fig.14).

Fig.14 : Les facettes pelliculaires s’intègrent harmonieusement dans leur environnement. Le résultat ne montre plus aucune dyschromies. Les principes fondamentaux de la biomimétique ont été respectés.