Le droit des entreprises en difficulté appliqué aux chirurgiens-dentistes
Le droit des procédures collectives, autrement appelé droit des entreprises en difficulté, est une matière du droit très technique, pleine de subtilités et de mécanismes spécifique. Mais la technicité pour la technicité est sans intérêt, et ce qu’il est important de comprendre lorsque l’on appréhende cette matière, de près ou de loin, est la philosophie qui sous-tend ces règles.
Originellement, la faillite ou le dépôt de bilan étaient perçus comme humiliant, voire déshonorant pour celui qui le subissait. Cette idée trouve une certaine résonance encore aujourd’hui. Ce propos s’illustre parfaitement dans l’étymologie du mot banqueroute. En effet, ce mot, de l’italien « banca rotta » (banc rompu), trouve son origine dans la pratique médiévale consistant à casser le comptoir (le banc) du banquier en situation de faillite afin que tous puissent prendre connaissance de son insolvabilité et de l’interdiction qui lui était désormais faite d’exercer cette activité.
La volonté de préserver l’emploi, la complexification de notre économie, la nécessité de réaliser des investissements, et d’une manière générale une prise en compte de la réalité de notre société moderne, ont conduit à un changement de philosophie dans la réponse à apporter aux professionnels en proie à des difficulté économiques.
C’est ainsi que s’est progressivement instauré un droit des entreprises en difficulté dont les règles sont une perpétuelle recherche d’équilibre entre d’une part la préservation de l’entreprise et d’autre part la protection de ses créanciers. En la matière, une entreprise désignera indifféremment un chirurgien-dentiste exerçant à titre individuel ou une société d’exercice libéral et ce quelle que soit sa forme (Selarl, Selas, etc.). La réponse juridique ne pouvant être la même suivant les situations, il existe une diversité de procédures adaptées à la gravité de la situation économique de l’entreprise.
La typologie des mécanismes
Les trois premières procédures que sont le mandat ad hoc, la conciliation, ou la sauvegarde supposent que l’entreprise ne soit pas en état de cessation des paiements. Ces procédures dites de prévention des difficultés ne peuvent être engagées qu’à la demande du débiteur.
À l’inverse, lorsque l’entreprise est en état de cessation des paiements, le dirigeant ou l’entrepreneur est tenu, dans les 45 jours de celui-ci, de le déclarer auprès du Tribunal de grande instance. À défaut, cela pourrait lui être reproché et un tiers créancier, voire le procureur de la république lui-même, pourrait demander l’ouverture d’une procédure.
Le choix de la procédure dépend de la capacité de l’entreprise à se redresser ; il s’agira soit d’une procédure de redressement judiciaire, soit d’une procédure de liquidation judiciaire. En effet, la procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif.
À l’inverse, une entreprise dont le redressement est manifestement impossible aura recours à la liquidation judiciaire immédiate. Il s’agira alors de mettre fin à l’activité de l’entreprise et de vendre ses actifs ou biens.
La notion clé de la cessation des paiements :
La notion d’état de cessation des paiements est un élément central en droit des entreprises en difficulté. En effet, l’absence d’état de cessation des paiements ouvrira au professionnel connaissant des difficultés certaines procédures auxquelles il ne pourrait accéder dans le cas contraire. À l’inverse, en cas d’état de cessation des paiements, il est tenu d’en faire déclaration, dans les 45 jours, au greffe du Tribunal de grande instance.
Le droit définit l’état de cessation des paiements comme le fait pour un débiteur d’être « dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible », ou plus simplement le fait pour une entreprise de ne pas pouvoir payer ses dettes échues avec les fonds à sa disposition.
Le mandat ad hoc
Lorsqu’un débiteur rencontre des difficulté , non déterminantes, il peut recourir au mandat ad hoc.
Procédure au cadre juridique très souple, le mandat ad hoc, comme son nom l’indique, consiste en la désignation d’un mandataire chargé d’assister le débiteur. Sa mission consistera le plus souvent en une négociation avec les créanciers. L’idée ici est de recourir à un tiers afin de négocier des délais de paiements, voire des remises de dettes avec les créanciers. La procédure est amiable, confidentielle, facultative et dépourvue de sanction. En effet, le mandataire ne pourra en aucun cas imposer ses vues aux créanciers.
La conciliation
La procédure de conciliation est réservée aux débiteurs qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne se trouvant pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours. Cette procédure consiste en la désignation d’un conciliateur qui a pour mission de favoriser la conclusion d’un accord amiable entre débiteur et créanciers, destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise.
À l’issue de la procédure, l’accord peut être constaté par le juge ou homologué, ce qui suppose sa publicité. Bien qu’amiables et donc laissés au bon vouloir des créanciers, certains mécanismes incitatifs confèrent à la procédure de réels atouts pour le débiteur. Le recours à cette procédure peut s’avérer très pertinent pour un praticien qui commence à éprouver des difficulté .
La sauvegarde
Cette procédure n’a été introduite dans notre droit qu’en 2005 et découle du constat fait par le législateur que plus les difficultés étaient traitées en amont plus les chances de succès du redressement étaient importantes. Sa place dans le panel des procédures collectives est hybride. Si elle est une procédure de prévention des difficulté , elle confère au débiteur la même efficacité que la procédure de redressement.
Il s’agit de la dernière procédure avant l’état de cessation des paiements. En effet, elle concerne les débiteurs qui, sans être en cessation des paiements, justifient de difficultés qu’ils ne sont pas en mesure de surmonter. Toutefois, à l’inverse des procédures ci-avant mentionnées, il ne s’agit pas d’une procédure amiable. Le jugement décidant de l’ouverture d’une sauvegarde entraîne le gel du passif antérieur ou autrement dit l’interdiction de payer les créances nées antérieurement, et l’arrêt des poursuites contre le débiteur.
Sous réserve d’avoir valablement déclaré leur créance, les créanciers ne seront payés que conformément au plan de sauvegarde, d’une durée maximale de 10 ans. Ces mécanismes confèrent une vraie force à cette procédure en ce qu’ils permettent au créancier asphyxié de bénéficier d’un peu d’air.
Cette procédure reste toutefois peu utilisée, nous comptons, pour l’année 2015, 1 291 jugements d’ouverture de sauvegarde, contre 15 227 de redressement judiciaire. Pourtant la procédure de sauvegarde est bien plus avantageuse et notamment en cas de caution personnelle, qui pourra se prévaloir du plan de sauvegarde à la différence du plan de redressement.
Le redressement judiciaire
Le redressement judiciaire suppose que l’entreprise soit en état de cessation des paiements mais que son redressement soit possible et sa situation non irrémédiablement compromise.
Tout comme en matière de sauvegarde, le jugement décidant de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire entraîne l’interdiction de payer les créances antérieures et l’arrêt des poursuites. Les créanciers ne seront payés que conformément au plan de redressement.
Sauf à recourir à la procédure simplifié , le dirigeant ou l’entrepreneur n’aura plus seul la direction de l’entreprise. Celle-ci sera confiée à un administrateur judiciaire. En pratique, cela signifie que le praticien pourrait ne même plus être habilité à signer un chèque. Cette situation est difficile à vivre.
La liquidation judiciaire
La procédure de liquidation concerne les entreprises en état de cessation des paiements dont le redressement est manifestement impossible.
Il s’agira alors de vendre au meilleur prix ce qui peut être vendu afin de désintéresser les créanciers. En pratique, il est exceptionnel que les créanciers puissent être intégralement remboursés.
La société n’est plus administrée par le praticien mais par un mandataire liquidateur judiciaire. Pour rappel, en entreprise individuelle, le praticien sera responsable des dettes de son cabinet sur l’ensemble de son patrimoine personnel. Sous réserve de ce qui est précisé dans l’encadré ci-après, le liquidateur pourra donc céder ses biens personnels afin de désintéresser les créanciers.
La déclaration de créances
Tout créancier d’une entreprise faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, est tenu, dans les 2 mois suivant la publication du jugement d’ouverture de la procédure collective au BODACC de déclarer sa créance. À défaut, il ne pourra se prévaloir de la procédure collective. En pratique cela signifie qu’il ne pourra pas recouvrer sa créance.
À savoir
Les salariés d’une entreprise ayant fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire peuvent demander à l’AGS (Assurance en garantie des salaires), le paiement des sommes qui leur sont dues.
Le rôle de l’Ordre
Le Conseil de l’ordre se voit octroyer un rôle particulier. En effet, il est prévu qu’il soit informé et parfois entendu en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’un chirurgien-dentiste.
Les différentes sanctions
L’action en comblement de passif
Lorsque la liquidation judiciaire d’une SEL a fait apparaître une insuffisance d’actif pour régler les créanciers régulièrement déclarés, l’ancien dirigeant peut se voir reprocher une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif. Il peut alors se voir condamner à supporter, en tout ou en partie, l’insuffisance d’actif sur son patrimoine propre. Cela suppose néanmoins la preuve de la constitution d’une faute de gestion du praticien. En l’absence de définition légale, il convient de se tourner vers l’interprétation qu’en fait la jurisprudence, particulièrement restrictive en faveur du praticien.
Exemples de fautes retenues par le juge :
- La non-déclaration de l’état de cessation des paiements dans le délai légal laissant ainsi s’accumuler les dettes.
- Le fait pour un gérant d’une entreprise en état de cessation des paiements d’avoir effectué des prélèvements importants qui ont rendu son compte courant d’associé débiteur.
L’extension de procédure par confusion de patrimoine
À la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale. Cette procédure suppose l’existence d’imbrications d’éléments d’actif et de passif dans les patrimoines concernés, et/ou des flux financiers anormaux. Les faits reprochés doivent être d’une réelle gravité.
Par exemple, le juge a retenu la confusion de patrimoine entre une Selarl en liquidation judiciaire et une SCI dont le praticien était associé avec son conjoint, dans la mesure où la SCI n’a cessé de percevoir des versements de la part de la Selarl venant du compte courant d’associé du praticien, alors que celui- ci était très fortement négatif (le solde ayant été porté jusqu’à 675 280 €), ce que la loi prohibe Les procédures de faillite personnelle et d’interdiction de gérer ne sont pas applicables à la profession de chirurgien-dentiste.
En effet, le législateur réserve à l’ordre professionnel le prononcé d’éventuelles sanctions.
La protection du praticien individuel
Comme nous l’évoquions dans un précédent numéro, à l’heure où les investissements demandés au chirurgien-dentiste ne cessent d’augmenter (et il est peu probable que la tendance s’inverse), la protection de son patrimoine personnel et, par voie de conséquence de ses proches, est essentielle.
Si la SEL ou l’EIRL présente incontestablement la meilleure protection, rappelons que les mécanismes ci-après listés peuvent intéresser le praticien individuel.
- Le choix du régime matrimonial. Même si les régimes séparatistes ne sont que peu usités, ils sont un rempart très efficace contre les créanciers du praticien individuel. Pour les personnes ayant des réticences concernant le régime de séparation pure et simple, le régime de la participation aux acquêts peut être une solution. En effet, ce régime hybride fonctionne comme un régime de séparation pendant la durée du mariage mais devient un régime de communauté réduite aux acquêts lors de sa dissolution. Autrement dit, les époux sont mariés sous un régime de séparation sauf lors du divorce (ou du décès), où les biens sont partagés entre les époux selon les mêmes règles que le régime légal.
- La protection du patrimoine Immobilier Depuis la loi Macron, la résidence principale du praticien individuel est par principe insaisissable. Cela signifie que les créanciers professionnels ne pourront se faire payer en saisissant l’habitation principale du chirurgien-dentiste. Pour mettre à l’abri de ses créanciers professionnels ses autres biens immobiliers, le praticien individuel pourra recourir au mécanisme de la Déclaration d’insaisissabilité.
Cette déclaration, nécessairement effectuée devant un notaire, peut porter sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à un usage professionnel, détenu en pleine propriété, ou en démembrement (usufruit, nue-propriété). Seront en revanche exclus les biens détenus via une SCI. Déclarer un bien insaisissable n’empêche aucunement de le vendre. D’un formalisme très simple et peu onéreuse, cette procédure présente un réel avantage, notamment pour le chirurgien-dentiste ayant investi dans l’immobilier en vue de sa retraite… Toutefois ces mécanismes trouvent un intérêt limité en cas de caution personnelle du chirurgien-dentiste, garantie que demandent fréquemment les banques.
Ne pas attendre pour agir !
Il est souvent difficile pour un professionnel de regarder en face les difficultés économiques de son cabinet et, lorsque tel est le cas, la situation de l’entreprise est tellement compromise que son redressement est difficile voire impossible. Les statistiques le montrent clairement, plus les difficultés sont traitées en amont plus les chances de réussites sont élevées.
En cas de difficultés, n’ayez pas peur d’en parler avec votre expert- comptable ou votre avocat, ils sauront vous conseiller.