Se séparer en douceur grâce à la rupture conventionnelle

C’est la guerre froide entre vous et votre assistante dentaire. Incompatibilité d’humeur, façons de travailler trop divergentes, le courant ne passe pas ou plus… Vous avez peut-être tenté de résoudre le problème par le dialogue, mais ça n’a mené à rien. Bref, vous ne pensez qu’à une chose, lui dire au revoir. La rupture conventionnelle s’offre à vous comme une bonne solution. Pourquoi, comment…

Une procédure simple et rapide

Pas besoin d’être calé en droit du travail pour procéder à une rupture conventionnelle (RC). Elle est simple, si l’on suit bien les règles et si l’on respecte les délais. C’est le premier avantage de cette procédure.

Le deuxième, c’est qu’elle est assez rapide : il faut compter six semaines pour boucler l’affaire. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de donner de motif pour rompre le contrat de travail. L’accord des deux parties suffit. Mais il est indispensable. L’employeur ne peut en aucun cas contraindre le salarié à accepter un départ négocié. En cas de problème grave, il reste toujours le licenciement, même s’il est susceptible de mener aux prud’hommes, avec son lot de stress, contrariétés et temps perdu. La conclusion de la convention doit en effet s’inscrire en dehors de tout litige. « Mieux vaut d’ailleurs éviter cette procédure après la notification d’un avertissement au salarié, les juges n’hésitant pas, en présence d’un potentiel vice du consentement, à la requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec les dommages et intérêts que cela implique. »
Une fois conclue, on ne peut en principe plus revenir sur la rupture conventionnelle. Les probabilités de contestation sont faibles : seul le vice de consentement peut être invoqué. Donc normalement, le spectre des prud’hommes reste écarté.

En résumé, la rupture conventionnelle « permet une négociation avec plus de sérénité, témoigne Valérie Douheret, assistante paie du cabinet comptable dijonnais AGC (association de gestion et de comptabilité) chirurgiens-dentistes et professions de santé. Et puis elle limite le risque de dégradation dans les relations de travail entre les deux parties jusqu’au départ du salarié ».

On arrête quand on veut

Il n’y a pas de préavis à respecter, c’est pour quoi il faut bien indiquer une date de rupture sur la convention. Elle intervient, au plus tôt, le lendemain du jour de l’homologation. Mais, et c’est un autre point positif de la RC, vous pouvez tout à fait la différer à trois ou quatre mois, afin d’avoir le temps de recruter un nouveau salarié par exemple ou au contraire raccourcir le temps d’attente afin de ne pas laisser une situation se gangréner. « En tout cas, elle peut permettre de débloquer une éventuelle situation conflictuelle », précise Valérie Douheret.

Inconvénient pour l’employeur : le prix de la simplicité

Comme toujours, la liberté a un prix. Et il peut vite grimper dans le cas d’une RC. En effet, le montant de l’indemnité, qui doit figurer dans la convention, ne peut être inférieur à celui de l’indemnité légale (celle du Code du travail) ou conventionnelle (celle de la convention collective des salariés des cabinets dentaires). C’est-à-dire que l’on considère comme minimum l’indemnité la plus avantageuse pour le salarié. Cette procédure coûte donc généralement plus cher qu’un licenciement si le salarié négocie une indemnité supérieure à l’indemnité légale. Et c’est ce qui, logiquement, se passe la plupart du temps. De plus, le praticien paie à l’URSAFF un « forfait social » de 20 % sur l’indemnité de RC, contrairement à celle du licenciement, qui elle, est net de charges. Donc, oui il faut mettre la main à la poche mais, comme le souligne Valérie Douheret, « un salarié démotivé peut au final coûter cher à un cabinet, en efficacité et en perte de temps, donc en rentabilité ». Il existe une solution pour désaler un peu la note : les contrats d’assurance facultatifs de mensualisation. L’un de ses trois volets concerne les indemnités de RC. « Je conseille toujours très fortement aux dentistes d’opter pour ces contrats. Ils leur permettent d’être remboursés à hauteur de 70 % de l’indemnité légale… à condition d’y avoir souscrit dès l’embauche du premier salarié dans le cabinet. »

Par ici la sortie : la rupture conventionnelle, comment ça marche?

1. La convocation à l’entretien

Il faudra convoquer votre salarié par lettre remise en main propre contre décharge ou lettre recommandée avec AR (accusé de réception), et lui communiquer aussi une fiche informative sur les droits qu’il tire d’une RC. Notamment celui d’être accompagné d’un conseiller homologué. La liste est disponible à la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). Le salarié a l’obligation légale d’informer son employeur qu’il ne viendra pas seul. Le praticien, lui, ne peut être accompagné ni d’un tel agent, ni de son avocat. « Il est seulement autorisé à inviter un collaborateur ou bien un confrère à assister à l’entretien, ce qui, en pratique, ne se fait jamais, car c’est assez délicat ». D’où l’intérêt de venir bien préparé à cet entretien, surtout pour le calcul de l’indemnité.

2. Signer le CERFA

Sur le site www.telerc.travail.gouv.fr, vous tombez directement sur le service de saisie d’un CERFA 14598*01 (formulaire officiel) de rupture conventionnelle. En six onglets, vous entrez vos données, celles de votre employé, les dates du ou des entretiens, celle envisagée de la rupture. On vous donne même des indications quant au calcul de l’indemnité. Si vous êtes à l’aise avec les outils informatiques, vous pouvez saisir directement les données et télétransmettre sous pdf ou bien télécharger le document en ligne, l’imprimer et le remplir à la main. De toute façon, il faudra envoyer un exemplaire par courrier avec AR.

Attention : il faut de la rigueur pour remplir le CERFA, en particulier sur le montant de l’indemnité et les dates. À la moindre erreur, la DIRECCTE n’homologuera pas la rupture, il faudra recommencer la procédure.

3. Le délai de rétractation

L’employeur et le salarié disposent chacun d’un délai de 15 jours calendaires pour se rétracter. Ce délai démarre le lendemain de la date de signature de la convention. Autrement dit, si le CERFA a été signé un samedi, le décompte des jours commencera le lundi suivant. Celui qui se rétracte informe l’autre par courrier. Une lettre recommandée avec AR ou une lettre remise en main propre contre décharge est conseillée. Le processus de rupture est alors rompu et la relation de travail se poursuit.

4. L’homologation de la rupture

À l’issue du délai de rétractation, vous pouvez alors faire la demande d’homologation en adressant à la DIRECCTE le CERFA de rupture conventionnelle. Il est préférable de le faire par lettre recommandée avec AR. La DIRECCTE dispose alors de 15 jours ouvrables à compter de la réception de la demande d’homologation pour se prononcer.


Retour d’expérience

Comment éviter la guerre des nerfs…

Normalement, les entretiens se passent bien, raconte Valérie Douheret, qui accompagne les dentistes dans les ruptures conventionnelles (10 RC en 2018 pour un portefeuille de 12 clients). L’expérience du Dr J., qui a souhaité gardé l’anonymat, serait donc l’exception qui confirme la règle. L’entretien de RC qu’il a passé avec sa future ex-assistante dentaire s’est apparenté à un règlement de compte. « Elle est venue, assistée d’un conseiller du personnel, qui m’a présenté sa carte comme s’il était de la police, se rappelle-t-il avec amertume. Il a parlé pour elle tout au long du rendez-vous, me reprochant mille et une choses. Je regrette de ne pas avoir suspendu l’entretien. Il outrepassait clairement son rôle de conseil. » D’après Valérie Douheret, il est rare que les salariés viennent accompagnés à cet entretien et s’ils le font, « parce que mal à l’aise ou craignant le conflit, les conseillers ne sont présents que pour vérifier les montants et le respect de la forme ». Mais ce que le Dr J. garde encore plus en travers de la gorge, c’est qu’un mois plus tard, son employée travaillait chez une consœur, alors même qu’elle avait enchaîné plusieurs arrêts de travail pendant une dizaine de mois. « Que le salarié parte avec une indemnité, oui, mais qu’elle soit si élevée, cela me paraît injuste. J’aurais préféré dépenser cet argent en primes par exemple, pour mes autres employés… qui restent. Si j’avais connu ses projets, je crois que j’aurais tenu un mois de plus. Je lui ai offert un beau cadeau de départ, en somme. Je me suis senti le dindon de la farce. » Démission déguisée : c’est l’effet pervers (possible) de la RC. « Certains employés, lassés par leur travail, trouvent en la RC une belle porte de sortie, leur ouvrant droit aux allocations chômage avec, en sus, une jolie cagnotte », confirme Valérie Douheret. Dans son cabinet, 80 à 90 % des demandes émanent des employés. « Je me demande comment le législateur pourrait cadrer tout cela… En instaurant peut-être un barême d’indemnisation, afin d’éviter les abus », s’interroge le Dr J. Pourtant il ne regrette pas d’avoir opté pour une rupture conventionnelle, il lui fallait une porte de sortie rapide. « Notre cabinet était très affecté par la situation. Nous n’allions plus pouvoir compter sur elle, mais nous n’avions pas pu non plus embaucher, étant donné que nous attendions son retour. Simplement, je conseillerais à mes confrères de se faire épauler pour la préparation de l’entretien. » Dans les mois qui ont suivi le départ de sa salariée, deux autres (une autre assistante dentaire et une femme de ménage) ont elles aussi tenté un départ par RC. Toutes deux partaient avec un projet professionnel en tête. Échaudé, la réponse du Dr J. fut claire et… niet.