Comment réduire la casse au cabinet ?
Dans un cabinet d’orthodontie, la majorité de la casse concerne les brackets. Le plus souvent, en raison d’un manque de soin du patient qui, stressé, mâchonne des stylos, se ronge les ongles ou mange des aliments peu recommandés. Dans 90 % des cas, ils se décollent. Dans 10 %, la ligature casse. D’après un sondage de la SFODF réalisé dans les cabinets, les problèmes de brackets concerneraient en moyenne 80 à 85 % des phénomènes de casse ; le reste étant des décèlements de fil de contention (environ 5 %), des cassures d’arcs (2 à 3 %), et d’appareils amovibles (environ 5 %). La perte ou casse de ces dispositifs est peu fréquente car ils sont en général prescrits aux tout-petits, qui cassent moins que les ados. « L’appareil amovible peut casser car le patient marche dessus, le fait tomber ou a un accident. Ou cela peut tout simplement être dû à l’usure. Quand un patient doit garder un appareil en bouche un an, au bout de six ou sept mois, celui-ci peut casser avec la mastication », déclare le Dr Waddah Sabouni.
Pour le Dr Guillaume Joseph, président de la Société française d’orthodontie linguale, la casse en lingual est réduite de moitié par rapport au vestibulaire. Sans surprise, les adultes traités par cette technique sont moins exposés à la casse que les jeunes, surtout les 12-14 ans. En moyenne, on considère que chaque patient décolle deux brackets par an. Aussi, si un cabinet soigne environ 400 patients dans l’année, il devra faire face à environ 800 décollements sur le même laps de temps, soit sur une année à 200 jours, quatre recollements par jour.
D’après l’enquête de la SFODF, si un tiers des cabinets estime les urgences pour casse à quatre ou cinq par jour, la moitié les estime à deux ou trois par jour tandis qu’une minorité estime ces urgences à trois ou quatre par semaine. Le Dr Alain Vigie du Cayla, qui reçoit cinquante à quatre-vingts patients quotidiennement, estime quant à lui son taux de casse à trois à six pour cent par an. « Si le patient vient pour un contrôle et que je me rends compte qu’il faut recoller, je m’en occupe dans la foulée, sauf si tout est à refaire. Auquel cas, je reprends un rendez-vous exprès pour ne pas trop perturber le planning de la journée. Fort heureusement, je ne passe pas ma vie à recoller », nuance-t-il.
« Tous les jours, on fait face à des décollements de boîtiers donc on a l’impression que c’est sans arrêt. Mais dans les faits, ce n’est pas le cas. Selon une étude réalisée avec un interne, en deux ans de traitement, 29 % des patients ne le décollent jamais. Mais quand ça arrive, ça fait râler », renchérit le Dr Sarah Chauty, chez qui la casse doit « prendre une demi-heure en tout sur une journée complète ».
Le stress du praticien
Concernant les casses de l’appareillage, neuf fois sur dix le patient s’en rend compte immédiatement, mais peut le cacher au praticien. Auquel cas, cela peut générer de la frustration pour l’orthodontiste, qui a le sentiment que son travail n’est pas respecté. « Je tâche de faire bonne figure mais ça m’énerve. Une fois, ça arrive mais c’est ennuyeux quand c’est toujours le même patient qui casse. Ce n’est jamais de sa faute : il s’est couché et le matin, c’était cassé », témoigne le Dr Vigie du Cayla.
Quand un patient est particulièrement prédisposé à casser, il peut y avoir un allongement de la durée du traitement (on évalue ces cas à environ 10 %). Cela requiert alors une surveillance accrue et une anticipation sur l’éventuelle longueur des rendez-vous.
À terme, ces mésaventures peuvent avoir un impact sur la réputation et la rentabilité du cabinet. « Les rendez-vous d’urgence polluent le planning du cabinet car ils se rajoutent à l’organisation quotidienne. Cela crée des tensions au niveau de l’équipe, qui essaye tant bien que mal de les absorber, un mécontentement pour le patient obligé de venir une fois de plus et pour ceux coincés en salle d’attente car on a pris du retard », analyse le spécialiste.
Les patients mécontents peuvent se plaindre auprès de leurs proches ou laisser des avis négatifs sur Google, ce qui tend à avoir un impact négatif sur la réputation du cabinet et entraînerait à terme une baisse de rendement et donc de rentabilité. Car pour bien fonctionner, un cabinet doit pouvoir compter sur un taux de recommandations élevé. Aussi, pour éviter ces déboires, mieux vaut prévenir en amont. Le traitement orthodontique s’appuyant sur la coopération de l’enfant, il faut s’assurer avant d’installer quoi que ce soit que ce dernier est d’accord avec le plan de traitement et prêt à le respecter.
L’acceptation de l’enfant est indispensable
« Si l’enfant ou l’ado ne veut pas porter d’appareil, il ne faut rien forcer. Je préviens les parents que rien ne sera posé tant que leur progéniture refusera », témoigne le Dr Vigie Du Cayla qui rappelle à ses petits patients la « chance inouïe qu’on leur offre un traitement car dans de nombreux autres pays, ils auraient dû garder leurs dents telles quelles ». Mais le praticien tâche aussi de sensibiliser les parents dès le début sur l’importance d’éviter la casse. « Je leur explique que même si le forfait qui comprend la casse, plus l’enfant cassera, plus le traitement sera long. C’est donc dans l’intérêt de toutes les parties qu’il n’y ait pas trop de casse ».
Une fois le traitement accepté par l’enfant, il est indispensable d’effectuer un travail de prévention pour limiter les risques au maximum. « À la pause d’appareils, mon équipe et moi insistons sur les points importants : le choix des aliments, le fait de ne pas manger des choses dures et collantes, la qualité du brossage… », commente le Dr Chauty qui prend également soin d’expliquer à ses patients la procédure à suivre en cas de problème. « Quand un patient appelle car il a l’impression que quelque chose a cassé, mon assistante pose des questions pour distinguer la vraie urgence d’un point qui peut attendre le rendez-vous suivant. Mais elle note tout, de sorte qu’on sait d’emblée ce qui a besoin d’être recollé. Ainsi, tout peut-être préparé en amont, ce qui fait gagner du temps ».
Pourquoi certains patients ont plus de problèmes
Et si malgré tout, l’enfant refuse de jouer le jeu et ne cesse de casser son appareil, mieux vaut tout arrêter sur le champ. « Pour moi, il est important de respecter le travail du praticien et l’argent que les parents ou la Sécurité sociale dépensent », insiste le Dr Vigie du Cayla qui n’a toutefois dû arrêter un traitement en cours que « très rarement ».
D’autant plus que s’acharner peut « devenir plus dangereux qu’autre chose », rappelle le Dr Chauty. « En effet, les forces sont interrompues en permanence et ce n’est pas très bon. Ça veut aussi dire qu’à chaque fois, on réinitialise un traitement orthodontique et ce n’est pas conseillé ». Un recollage successif peut abîmer l’émail et le parodonte.
Mais si la casse est surtout due à un non-respect des protocoles, le type de support (émail, composite, couronne…) impose dans chaque cas une technique particulière. Le patient n’est pas toujours responsable des décollements et le praticien doit savoir choisir les matériaux les mieux adaptés aux substrats naturels et prothétiques. « Il y a des dents, des types d’émail où la colle tient moins bien d’une personne à l’autre », explique le Dr Vigie du Cayla. Sans compter la puissance musculaire qui varie selon les patients.
Le Dr Chauty et ses collègues mènent actuellement une étude sur « Pourquoi certains patients ont plus de problèmes que d’autres ». « Certainement car les forces masticatoires ne sont pas très bien réparties. Certains mangent plus d’un côté que l’autre… Il y a également la question du placement de la langue… », avance-t-elle, concédant qu’il y a « une partie qu’on ne connaît pas ».
La casse peut également se produire, bien que plus rarement chez les adultes. « En particulier ceux qui sont très hyperdivergents avec un visage très carré. Ils ont souvent des problèmes sur les deuxièmes prémolaires, explique le Dr Chauty. Dans les études, on s’aperçoit que cela concerne surtout les dents postérieures. » Est-ce dû au centre de résistance de l’arcade, à l’axe d’insertion du fil ou au fait que les forces musculaires se concentrent beaucoup sur ce secteur et que les dents du haut peuvent toucher celles du bas ?
Quelles précautions prendre en amont ?
Ainsi, le positionnement sur la surface de la dent doit tenir compte des facteurs anatomiques du patient. « Pour éviter les casses, on utilise des matériaux suffisamment fiables, on prend toutes les mesures nécessaires pendant le collage pour avoir un isolement et le temps qu’il faut pour respecter le protocole et diminuer les erreurs techniques qui pourraient venir de nous », explique le Dr Sabouni. « Si quand vous posez des attaches, le patient serre les dents et mord dessus, vous pouvez être certain que ça va se décoller. Aussi, quand je colle, je fais attention à le faire à une hauteur compatible avec l’occlusion dentaire », renchérit le Dr Vigie du Cayla.
En plus de ces précautions, avant d’appareiller quelqu’un, vous pouvez vous poser les questions suivantes : sachant que les casses arrivent le plus souvent dans les huit jours après la pose, est-il judicieux d’appareiller un patient la veille de son départ en vacances ou du vôtre ? Et sachant que le coût du petit matériel représente 5 % des factures, est-ce nécessaire d’acheter le matériel le moins cher qui sera peut-être moins performant ? « Chez moi on calcule le taux d’urgences dans l’année, s’il a tendance à augmenter, on se réunit, on réfléchit. En fonction de ce qui est arrivé, un problème avec le matériau ou la colle, je change de lot », témoigne le Dr Vigie du Cayla.
En cas de problème, le Dr Sabouni dispose quant à lui de plages horaires spécifiquement prévues dans ses journées. Celles-ci sont calculées « statistiquement en fonction du nombre d’urgences potentielles par rapport aux trois dernières années au cabinet ». « Nous avons formé nos équipes de façon à placer ces rendez-vous sans gêner le planning ». D’autant plus que pour anticiper, le suivi virtuel lui permet de « constater à distance qu’une partie de l’appareillage est décollée et de prendre une décision en fonction de l’importance de la casse ».
Faut-il facturer la casse ?
Face à une casse répétée, chaque praticien adopte une philosophie qui lui est propre. Si les casseurs réguliers lui tapent sur les nerfs, le Dr Vigie du Cayla ne facture pas la casse car « le traitement dure plus longtemps et j’encaisse les honoraires correspondants. Cela perturbe plus le planning du cabinet que les frais engagés ». Sarah Chauty, de son côté, « facture à partir du septième boîtier décollé ». « Je compte quelque chose de symbolique, mais c’est plus pour attirer l’attention du patient ou de ses parents », développe-t-elle. « Si on se rend compte que des patients ignorent nos consignes et décollent ou cassent une partie de l’appareillage à répétition, on peut leur demander soit une participation financière pour la réparation des problèmes soit un arrêt du traitement car ce dernier risque de créer des préjudices, que soit pour la sécurité du patient ou la réputation du cabinet », rappelle quant à lui le Dr Sabouni.
« Pourquoi certains patients ont plus de problèmes que d’autres »
Dans son étude « Pourquoi certains patients ont plus de problèmes que d’autres », le Dr Chauty et ses internes notent que « si les abandons de traitement sont rares, on constate qu’ils concernent soit les patients avec un très petit besoin orthodontique initial ou au contraire ceux qui en ont un énorme. Les premiers ont l’impression que le traitement est fini dès que les dents sont alignées, tandis qu’au contraire, les autres ont tendance à rapidement se décourager devant l’ampleur du protocole à suivre ».