Témoignage : « mon cabinet devait ouvrir à la veille du premier confinement »

Quand et pour quelles raisons avez-vous décidé de vous lancer dans une création ?

J’ai commencé à l’envisager en fin de cursus, en cinquième-sixième année. Très vite, c’est devenu une certitude : je monterai un cabinet de groupe. C’était l’assurance pour moi d’exercer dans une structure bien équipée, qui ne me limiterait pas matériellement. Mais aussi de pouvoir choisir mes collègues. Je voulais m’entourer de personnes partageant mon état d’esprit, ma philosophie, c’est-à-dire de confrères et de consœurs aimant leur travail et ne courant pas qu’après l’argent… J’avais envie de bosser avec une bande de potes ! J’ai procédé par étapes : à ma sortie de fac en 2013, j’ai d’abord été collaborateur à Valence, à Mâcon, et en parallèle, j’allais voir des cabinets à droite à gauche pour étudier leur fonctionnement. Ensuite, en 2015, j’ai racheté un petit cabinet de ville à Villeurbanne avec un ami, histoire de me roder à la gestion avant de m’attaquer à plus gros. Et sur mon temps libre, je travaillais sur mon projet de création. Je n’ai pas eu peur de me lancer dans une telle aventure, mais j’ai un rapport au stress particulier… Je ne stresse pas ! Je pratique le parachutisme et la wingsuit, j’imagine que cela aide.

Comment avez-vous choisi l’emplacement de votre cabinet ?

Mon cabinet est situé à Barberaz, à côté de Chambéry, et la localisation répond en tout point à mes critères. Personnels : je voulais une drop zone de parachutisme non loin et c’est le cas ; que le cadre soit cool : il y a le lac, les montagnes ; qu’il y ait un aéroport à proximité, il y en a plusieurs. Professionnels : il fallait que la zone soit attractive, or la Savoie l’est. Sur chaque critère de mon étude de marché – dépenses de santé par habitant, nombre de praticiens, panier moyen de soins dentaires etc. -, le département se retrouvait toujours dans le top 5 à l’échelle de la France. Et puis à Barberaz, Chambéry, les gens ont un bon niveau de vie, font attention à leur santé. Le bâtiment, lui, s’insère dans un projet global de réaménagement du centre-ville. Pour accompagner la construction de 150 nouveaux logements et donc l’accroissement de la population, le maire a souhaité mettre en place un pôle de santé. Les conditions financières pour s’y installer étaient intéressantes, alors j’ai franchi le pas. J’ai dû néanmoins me décider sur plans, car à l’époque, il n’y avait rien, juste un terre-plein. Au départ, je visais le rez-de-chaussée, mais le maire préférait des commerces à ce niveau. J’ai donc opté pour le 4e et dernier étage et j’ai pris le tout : les 380 m2 de plateau et les 60 m2 de terrasse.

Vous avez vu grand ! En termes d’aménagements, quels choix avez-vous faits ?

Quand l’opportunité s’est présentée, j’ai consulté mon expert-comptable. Il m’a dit que c’était audacieux seul, mais jouable. Moi qui, au départ, étais parti sur un espace plus petit et trois salles de soins – trois étant le chiffre idéal pour rentabiliser les investissements matériels -, j’ai opté pour plus grand et créé six salles de soins, soit un multiple de trois. Elles sont proches les unes des autres, toutes équipées d’un bureau. Celui-ci est orienté de telle façon que le patient ne voit pas le fauteuil et est disposé en triangle pour que praticien et patient soient côte à côte et non face à face. Ces six salles de soins entourent une grande stérilisation centrale. Les deux blocs opératoires eux, sont un peu à l’écart, histoire de séparer la zone de chirurgie de celle de soins. Il y a aussi une salle de radiologie. L’idée était qu’il y ait tout sur place pour permettre une prise en charge globale. Sinon, étant formateur en implantologie, j’ai aussi prévu un espace formation, séparé du bloc opératoire par une vitre. À cela s’ajoutent : le secrétariat, l’accueil, une grande salle d’attente ouverte, deux boxs d’entretien dédiés au personnel administratif, une zone pour le personnel, un studio photo avec salle d’enseignement à l’hygiène. Enfin, il y a une salle bien-être, utilisée principalement par une praticienne formée en hypnose médicale. C’est un atout dans la prise en charge des patients difficiles, handicapés, phobiques, ou fumeurs.

En termes de design d’intérieur, quelle était votre ambition ?

La décoration était la deuxième étape. Ce n’est pas du tout mon truc d’habitude, mais là je l’ai forcément soignée. Je ne voulais pas d’un cabinet classique, blanc et gris. Je souhaitais un cabinet moderne, mais il était hors de question qu’il soit bling bling, ostentatoire. On m’avait par exemple proposé un style avec du bois sombre, du marbre. C’était très classe, incisif… Parfait pour un cabinet d’avocats d’affaires, pas pour un cabinet dentaire ! Moi, j’ai misé sur l’équilibre, pour créer un environnement où les patients se sentent bien, détendus. J’ai choisi des matériaux naturels tels que le bois, la pierre. Il y a des touches de couleur pour amener de la chaleur. Il y a un mur végétal pour rappeler notre ancrage écoresponsable… Tout est fait pour que le patient se sente à son aise : la salle d’attente est équipée de canapés sur-mesure, d’un diffuseur d’huiles essentielles, d’une fontaine à eau où les gens peuvent se servir de l’eau fraîche, tempérée, chaude, se préparer un thé, une tisane.

De quels professionnels vous êtes-vous entouré ?

Il y en a eu beaucoup ! L’agence Axite CBRE s’est chargée de me proposer des locaux. L’expert-comptable Philippe Jacquemet de Premier Monde a joué un rôle central en matière de montages financiers et d’anticipation du projet. C’est lui qui m’a conseillé de passer en Selarl deux ans auparavant pour l’utiliser comme tirelire. Premier Monde a aussi géré les montages financiers avec les banques. Delsol Avocats a validé les projets auprès de l’État, parce que dans le cas d’un démembrement notamment, il est important de respecter certaines règles. Le consultant patrimonial Florian Manin de Cyrus conseil a lui joué le rôle de coordinateur entre mes avocats, l’État, l’expert-comptable et moi. Il y a bien sûr eu les architectes de Créa Design. On m’avait toujours dit : « Attention, sur un chantier de cette taille, il y aura énormément de problèmes ». Or je n’ai mis que deux fois les pieds sur le chantier, ça s’est très bien passé. Je n’ai eu qu’une vingtaine de réserves et c’était du détail. Enfin mon notaire, Thomas Tartulier, a été précieux : il a été attentif au moindre détail. En tout, lors des premières réunions, il y avait vingt personnes autour de la table !

Quelle organisation avez-vous imaginée pour votre cabinet ?

Pour le moment [mai 2021], nous sommes trois praticiens : moi, et deux amis [le Dr Antoine Seux et le Dr Esther Hodgkinson], qui sont associés minoritaires apporteurs en industrie. Je leur mets à disposition une part de la société pendant trois ans, et si, à échéance, ça marche toujours aussi bien et qu’ils veulent rester, on discutera d’une association plus durable. À l’heure actuelle, il y a aussi quatre assistantes dentaires – deux formées et deux en formation -, et une secrétaire. L’idée est d’avoir toujours une assistante de plus que le nombre de praticiens – elles sont indispensables ! – et une secrétaire pour deux-trois chirurgiens-dentistes. Le 2 juin, deux praticiens vont nous rejoindre. Puis un vers juillet-août, un vers septembre et un vers novembre décembre. À la fin de l’année, chaque salle de soins tournera cinq jours par semaine et chaque praticien travaillera trois-quatre jours. Un aspect important pour nous : tout recrutement, que ce soit d’un praticien, d’une assistante ou d’une secrétaire, doit faire l’unanimité. Une fois cette équipe de base constituée, j’aimerais bien déléguer une partie de la gestion. Mais j’attends pour cela que le cabinet tourne à plein régime.

Comment vous êtes-vous formé à l’organisation ?

Ce qui est dommage, c’est qu’en sortant de fac, on n’a aucune notion de management, d’organisation, alors que selon moi, c’est le plus difficile à gérer. Pour me former, j’ai beaucoup lu. Et puis, j’ai pris des cours particuliers de management. J’ai choisi de les prendre hors du domaine du dentaire, pour diversifier les visions, mais j’ai également effectué des formations spécialisées plus connues dans notre milieu. Ce qui m’a été très utile, c’est notamment d’être allé observer le fonctionnement de différents cabinets. Désormais, j’envisage de créer une formation en la matière. Je ne souhaite pas seulement livrer les ingrédients du succès, mais toute la recette, en fournissant l’intégralité de mes supports.

Libre au praticien de les appliquer ou non, mais au moins, il aura du concret entre les mains. J’en suis au pré-test : plusieurs cabinets me font leurs retours sur ce qui leur a plu ou non.

Avez-vous rencontré des contretemps lors du processus de création ?

Globalement, ça s’est très bien passé ! Mais il y a eu évidemment quelques contretemps. À commencer par le fait que nous devions ouvrir le 16 mars 2020, soit la veille du premier confinement, qui a duré six semaines ! Les employés ont donc passé leur premier jour… en chômage partiel. Mais je ne me suis pas laissé abattre, j’avais de la marge au niveau de la trésorerie, de quoi tenir un an. J’ai investi ce temps pour travailler à l’organisation du cabinet. En un mois et demi, j’ai rédigé 200 pages sur le sujet alors qu’en temps normal, ça m’aurait pris deux ans. On aurait dû rouvrir le 16 mai 2020, mais c’était sans compter sur un dégât des eaux. Le plombier a oublié de serrer un raccord en déplaçant un fauteuil… Nous nous sommes donc retrouvés avec 4 centimètres d’eau. C’est à cause de cela que je n’ai pas pu développer plus tôt le cabinet.

En tout, le processus de création a duré quatre ans et demi. Le projet aurait pu être finissable en deux ans, mais ces retards ont été un mal pour un bien : ils m’ont permis de me sécuriser au niveau trésorerie, de peaufiner le projet… Sans cela, le résultat aurait sûrement été moins abouti.

Un an après l’ouverture, quel premier bilan dressez-vous ?

Très positif ! Je suis vraiment content de m’être lancé dans cette aventure. Déjà parce que j’ai la chance de travailler dans un endroit qui me plaît et d’être très bien entouré, par des personnes extrêmement investies, ce qui était mon but premier.

Ensuite, parce que le cabinet a tout de suite bien marché : dès le premier jour, nos trois agendas étaient pleins. Je ne pensais pas que ce serait aussi utile, mais le site internet a attiré pas mal de patients. Le bouche-à-oreille a suivi, et nous avons récolté de nombreux avis positifs sur Internet. Il y a une demande importante, car plusieurs praticiens sont partis à la retraite, la crise sanitaire accélérant certainement certains départs. C’est justement pour être en mesure de répondre à la demande que j’ai hâte d’accueillir les nouveaux praticiens, car en ce moment, on est contraints de refuser dix patients par jour. D’un point de vue financier, je rentre dans mes frais depuis le premier jour. Le retour sur investissement, lui, aura lieu c’est certain, mais un peu plus tard, quand on aura développé le cabinet.

Jusqu’à présent, on n’a tourné qu’à trois praticiens, or la structure n’est pas étudiée pour cela. C’est donc normal que, pour le moment, les frais soient élevés, et que je les compense.

Quels conseils donneriez-vous à une consœur ou à un confrère ?

La création est un projet tout à fait faisable, à condition de suivre quelques lignes directrices.

J’en ai plusieurs en tête ! Être bien entouré, avant toute chose : par différents professionnels à toutes les étapes de la création, par une équipe solide au sein du cabinet. Essayer de trouver un confrère qui vous prodiguera des conseils. Moi c’est ce qui m’a manqué, alors j’essaye d’aider dès que possible. Avoir de la trésorerie de côté. Se fixer des objectifs assortis de dates butoir… Enfin et surtout, ne pas sous-estimer l’humain, le management.

Souvent, on pense savoir faire, mais on se trompe.

Un investissement de plus deux millions

  • L’immobilier et l’aménagement : 1,6 million € (avec une répartition proche de 50/50, car beaucoup d’agencements sur-mesure).
  • Les frais annexes : environ 50 000 € (montages, frais juridiques…)
  • Le matériel, sous forme de crédit-bail : environ 500 000 € (stérilisation, salles de soins, informatique, radiologie, caméras d’empreinte, instrumentation…)

« Même sur des montants aussi élevés, c’est au final la masse salariale qui représente la plus grosse part des charges mensuelles », note le Dr Delorme.