Travailler sans assistant(e) : une hérésie ?
La pratique de l’odontologie sans assistante dentaire est-elle condamnée à disparaître ? Une chose est certaine, lorsque l’on cherche des données sur le nombre de chirurgiens-dentistes exerçant sans assistante, les études récentes se font rares et peu précises.
En 2007, une enquête de la DCASPL (Direction du commerce, de l’artisanat, des services et des professions libérales) relevait néanmoins que sur les 36 100 cabinets dentaires que comptait la France à l’époque, deux tiers fonctionnaient avec des salariés et un tiers avec des chirurgiens-dentistes exerçants « seuls », sans plus de précision. La même année, une autre enquête, publiée par l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), confirmait le manque d’informations sur cette pratique : « Les sources statistiques existantes ne permettent pas d’identifier de façon précise l’activité “isolée” ».
Parle-t-on ici d’un praticien sans assistante ou d’un praticien sans associé ni collaborateur ? Là encore, le doute subsiste, même si l’ONDPS relève lui aussi que dans deux cas sur trois, le chirurgien-dentiste emploie une assistante, ce qui laisse logiquement penser qu’un tiers des praticiens exerce sans. Les deux études s’accordent également pour dire que le travail sans assistante, autrefois majoritaire, est en perte de vitesse au profit de l’exercice en groupe et de l’emploi salarié.
L’enquête de l’ONDPS nous apprend cependant que « des “irréductibles” persistent, qui refusent de prendre une assistante, y compris pour effectuer des tâches d’accueil et de secrétariat. L’argument le plus souvent avancé pour justifier ce choix est celui du coût que représente le salaire de l’assistante ». Qui sont donc ces irréductibles praticiens ? Pourquoi ont-ils fait le choix de travailler sans assistante ? Quels sont les avantages et inconvénients d’une telle pratique ?
Le choix d’exercer en solo
Si certains ont décidé dès le début de leur exercice de travailler sans assistante, d’autres y sont venus plus tard, parce qu’ils ont été amenés à travailler seuls par hasard ou par la force des choses. C’est le cas de ce chirurgien-dentiste d’Île-de-France, en fin de carrière, qui témoigne : « Au cours de ma vie professionnelle, je dirais que j’ai eu la moitié du temps une assistante, soit environ vingt ans. J’ai été amené à travailler sans assistante parce qu’à un moment donné, je n’en avais plus sous contrat de formation, et comme je ne suis pas un bon manager, j’ai préféré m’en passer. Je ne supporte pas les gens qui ne comprennent rien, je suis un peu exigeant, et comme les personnes que j’ai eues se sont rapidement révélées insuffisamment compétentes, je n’ai pas voulu chercher plus loin. Je me sens mieux sans assistante. » Et quand on lui demande ce que cela a changé pour lui dans sa pratique quotidienne, la réponse fuse : « Pas grand-chose, si ce n’est que je suis beaucoup plus heureux et beaucoup plus détendu. Je ne m’énerve plus, donc pour moi, cela n’offre aucun inconvénient, mais seulement des avantages. »
Comme le précisait l’enquête de l’ONDPS, l’aspect économique est un autre argument très souvent avancé par les dentistes travaillant sans assistantes, mais pour Robert Maccario, dirigeant du groupe Efficience-dentaire, il ne tient pas la route : « La première phrase que j’entends le plus souvent quand je demande à des praticiens pourquoi ils travaillent sans assistante, c’est “Je ne supporte pas d’avoir quelqu’un qui me regarde travailler”. Donc je ne crois pas trop à l’argument économique. À mon avis, c’est surtout le regard de l’assistante qui dérange. » À cela peuvent s’ajouter les mauvaises expériences vécues par certains, comme des collaborateurs malhonnêtes ou incompétents, ou encore l’aspect chronophage que représente le temps de formation nécessaire lors de l’intégration au cabinet. De ce point de vue, en organisant bien son exercice en solo, travailler sans assistante peut présenter plusieurs avantages : pas de management de personnel, pas de recrutement ni de licenciement, une plus grande liberté d’emploi du temps, de rythme et d’organisation, etc.
Un dentiste sur tous les fronts… ou presque
Mais ne pas avoir d’assistante, c’est aussi assumer seul la charge du cabinet et parfois une certaine solitude professionnelle, sans oublier l’impossibilité de réaliser des actes complexes, par manque de temps et/ou de moyens humains. « Cela a aussi un impact sur la qualité des soins, souligne Robert Maccario. En auditant régulièrement des cabinets dentaires, je constate par exemple que, même avec une assistante, des fautes d’asepsie sont commises à longueur de journée. Un praticien seul aura donc beaucoup de difficultés à ne pas en commettre : comme il est dérangé tout le temps, il en commet sans s’en rendre compte. »
Dans son cabinet de l’Ouest parisien, notre dentiste témoin s’en sort pourtant « très bien » : « Pour les consultations, j’ai une ouverture automatique de porte. Pour la stérilisation, j’ai peu de manipulations, parce que j’ai des appareils de nettoyage qui sont dans des cassettes, notamment un autoclave et un lave-vaisselle. Pour la prise de rendez-vous, soit je m’interromps, soit je laisse le répondeur prendre le relais et réponds plus tard. En ce qui concerne le travail au fauteuil, j’utilise des dispositifs qui me permettent de travailler seul, comme des miroirs aspirants. Comme je résous toutes ces problèmes grâce à des dispositifs techniques dont je sais bien me servir, je n’ai aucun souci. Naturellement, c’est plus long puisqu’il faut consacrer au moins une heure à 1 h 30 de plus par jour pour tout préparer. »
Autre conséquence, la plupart des dentistes travaillant sans assistante sont amenés à éliminer tous les actes de chirurgie et à se concentrer sur les soins conservateurs. Cette activité limitée ne les empêche pas de faire un bon chiffre d’affaires, qui peut atteindre les 200 000 à 250 000 € annuels, mais va de pair avec une fatigue accrue, selon Robert Maccario : « Soyons clairs, travailler en solo ne fait pas gagner moins, mais cela fait soigner moins de patients et avec beaucoup plus de fatigue. »
Le rôle de l’assistante au sein du cabinet
« Avoir une assistante est absolument indispensable pour développer son cabinet. Il est incroyable de pouvoir imaginer travailler sans, car c’est la réponse la plus efficace au besoin de rentabilité et de productivité horaire, poursuit le fondateur du groupe Efficience-dentaire. Elle coûte environ 25 € de l’heure avec les charges sociales, quand le dentiste produit environ 200 € de l’heure. Si l’on augmente la productivité de 15 %, l’assistante produit 30 € de chiffre d’affaires, donc elle se paye. Et pendant ses 150 heures de présence chaque mois, elle va aussi conseiller, rassurer les patients, assister le dentiste au fauteuil, etc. Donc, au-delà de la production horaire, elle apporte un grand confort aux praticiens et une sécurité au niveau des actes ».
Pourtant, aujourd’hui encore, l’assistante dentaire est perçue par beaucoup comme une simple aide technique, présente pour accueillir les clients, répondre au téléphone, conditionner les outils chirurgicaux et de stérilisation, etc. Si elle assume de fait de nombreuses tâches techniques qui feraient perdre un temps précieux au chirurgien-dentiste, l’assistante dentaire ne doit pas pour autant être considérée comme un simple outil. Au contraire, il faut tirer parti de sa présence et optimiser ses compétences. À condition, bien sûr, de savoir comment procéder.
« Souvent, les dentistes font de mauvais choix de recrutement et se retrouvent avec des assistantes qui ne savent pas ou ne veulent pas travailler, n’ont pas été formées correctement ou ne sont pas honnêtes, résume Robert Maccario. C’est aussi ce qui les pousse à ne plus vouloir recruter mais cela n’a aucun sens : il faut savoir trouver des gens honnêtes, qui savent travailler, et les former. » Il est donc primordial d’accorder une attention particulière au recrutement et de penser à mettre en place une formation au cabinet, en plus de la formation théorique déjà acquise, à la fois sur l’assistance au fauteuil, les tâches administratives et les aspects relationnels. L’exercice du recrutement n’étant pas aisé, faire appel à un cabinet spécialisé peut permettre de gagner en efficacité et en temps.
Confort au travail, qualité et sécurité accrue dans les soins, gain de productivité… Vous l’aurez compris, l’assistant(e) dentaire est un élément incontournable du cabinet à une époque où la tendance va vers l’exercice en groupe et/ou avec des salariés. Mais il reste à chacun d’identifier ce qui lui convient le mieux, en fonction de ses besoins. « C’est un sujet très discuté et très discutable, car c’est aussi une question de quantité de patients, de nature des travaux, de temps que l’on est prêt à consacrer à son travail, etc., reconnaît notre dentiste témoin. Je ne prétends pas que travailler sans assistante est un modèle à recommander, mais il me correspond, car c’est ma personnalité qui fait que cela fonctionne ».
Combien doit peser la masse salariale dans un cabinet dentaire ?
Selon Robert Maccario, dirigeant du groupe Efficience-dentaire, la masse salariale doit peser 15 % du chiffre d’affaires du cabinet dentaire. « Cela veut dire qu’il n’est pas raisonnable de dépenser plus de 15 %, ni raisonnable de dépenser moins de 10 %. C’est très précis : une assistante dentaire c’est 8 %, deux assistantes c’est 15 %. C’est un critère que je regarde attentivement et je veille à ce que mes clients tournent autour de ces 15 %. Comment obtient-on ce chiffre ? Certainement pas en jouant sur les salaires, mais en jouant sur le chiffre d’affaires. Donc, lorsque ce ratio monte à 17 %, cela signifie qu’il est temps de faire remonter le chiffre d’affaires. »
2022 : l’année des opportunités de recrutement
Si vous prévoyez de recruter une assistante dentaire, pensez à la « Préparation opérationnelle à l’emploi individuelle » (POEI), assortie d’un contrat de professionnalisation (en CDD d’au moins 12 mois ou en CDI). Ce dispositif offre une formation de préparation à l’embauche, prise en charge par Pôle emploi. Suite à la crise sanitaire, le Gouvernement a également mis en place une prime de 8 000 € accordée aux employeurs pour tout contrat de professionnalisation conclu entre le 1er novembre 2021 et le 30 juin 2022 avec un chômeur de longue durée.