Comprendre la dysfonction cranio-mandibulaire pour mieux la gérer et la traiter

La DCM, dysfonction cranio-mandibulaire, autrefois appelée syndrôme algo-dysfonctionnel de l’appareil manducateur (SADAM), se définit comme une atteinte mécanique des ATM d’étiologie plurifactorielle pouvant se manifester localement ou à distance de celles-ci. Les symptômes sont unilatéraux. Environ 10 % de la population présenterait des symptômes d’une DCM. La plupart du temps, elle passerait inaperçue, ceci expliquant le faible pourcentage de patients demandeurs de traitement alors que l’incidence des DCM est élevée et ne cesse d’augmenter. La prévalence est de 8 femmes pour 1 homme. On considère que les femmes ont une charge mentale plus importante que les hommes. La patiente type : une femme de 40 ans, mariée, deux enfants, active, qui est épuisée et ne sait pas reconnaître ses besoins, ses envies. 50 à 70 % de la population présente un signe notable de DCM mais seulement 3 à 5 % sont en demande d’un traitement. L’éventail d’âge est de 15 à 75 ans. Les adolescents sont plus présents en consultation depuis le début de l’épidémie de Covid, l’informatisation des cours et le choix précoce de leur avenir. Nos retraités, encore actifs dans la société et de plus en plus connectés sont également davantage confrontés aux troubles de dysfonction cranio-mandibulaire. Les personnes vivent plus âgées et sont plus malades, on voit des patients qui accompagnent leur conjoint dépendant, on les appelle les aidants, et ce dernier groupe de personnes est épuisé.

Étiologies des DCM

Nous allons passer en revue les causes déterminantes de santé et les facteurs de risque d’une DCM

1. Stress

Le stress, c’est-à-dire un choc émotionnel, ou le stress de la vie en général considéré comme un stress chronique. En réponse à cette agression et pour diminuer les hormones de stress, le patient va serrer les dents. Lorsqu’il y a stress, il y a fuite du magnésium qui intervient dans 300 cycles biochimiques.

2. Dysfonctions

Déglutition atypique, langue basse entravant la fonction respiratoire, la douleur oro-faciale perturbant l’équilibre musculo-squelettique de l’appareil manducateur, la déglutition est impactée et tend à devenir atypique, c’est donc un cercle vicieux qui s’installe. La mastication unilatérale due à une mauvaise habitude, à un édentement unilatéral, à une opération, un accident ou encore une élocution serrée, sont autant de symptômes témoignant d’une éventuelle DCM.

3. Troubles de convergence oculaire

Un manque de convergence (Fig.1) peut être dû à une vision parfaite, un des deux yeux va rester fixe et ne pas converger. Ou le muscle droit externe de l’œil est très contracté, étiologie ou conséquence du masséter homolatéral contracté car ces deux muscles sont insérés à proximité sur l’arcade zygomatique.

Fig.1 : Manque de convergence.

4. Mauvaise posture de travail

Des actes répétitifs ou encore un travail sur outil informatique intense peuvent entraîner une mauvaise posture et causer des DCM.

5. Étiologie articulaire

Traumas réels (extrinsèque) qui peuvent être occasionnés par des causes indirectes (ex : coup du lapin, Fig.2) ou directes (ex : bâillement, chute, coup Iatrogène : intubation, dents de sagesse, soins dentaires trop longs…).

Fig.2 : Coup du lapin.

Parafonctions (intrinsèque)

Bruxisme (grincement excentré) plutôt la nuit.

Serrement des dents ou clenching (centré) jour et nuit, qui peut passer inaperçu car silencieux.

Consommation excessive de chewing-gums et bonbons mous.

Mordillement des lèvres et/ou des joues.

Onychophagie, soit une tendance du patient à se ronger continuellement les ongles (Fig.3).

Voici autant de signes à ne pas négliger et qui ne sont pas anodins dans la détection d’une dysfonction cranio-mandibulaire.

Fig.3 : Onychophagie.

Diagnostic

1. Craquement, claquement, blocage, limitation d’ouverture, déviation

Les muscles masséters, temporals, et ptérygoidiens sont insérés en avant du disque interarticulaire (Fig.4) et dès lors qu’ils sont contractés, ils tirent le disque en avant en dehors de son espace physiologique.

Fig.4 : Insertions musculaires sur disque interarticulaire.

2. Palpation des muscles

Masséter, trapèze, ptérygoïdien latéral et médial, temporal, plancher buccal, SCM, éminence thénar (Fig.5, 6, 7).

Fig.5 : (A) masséter – (b) temporal (c) ptérygoïdien latéral (d) ptérygoïdien latéral.

Fig.5b.

Fig.5c.

Fig.5d.

Fig.6, 7 : Éminence hypothénar.

Fig.7.

3. Douleurs

Un patient qui se plaint de douleurs régulières et persistantes à la tête, aux oreilles, à la nuque ATM, aux dents, ou encore une douleur projetée.

4. Acouphènes

Ces associations sont accompagnées de diverses hypothèses étiologiques liées à la proximité des structures anatomiques :

  • l’hyperactivité des muscles masticateurs pourrait induire une contraction réflexe du muscle tenseur du voile du palais causant une ouverture inefficace de la trompe d’Eustache,
  • des médiateurs de l’inflammation pourraient diffuser entre ATM et oreille moyenne ou interne, produisant des symptômes otologiques,
  • les symptômes otologiques pourraient être des douleurs référées de douleurs myofasciales.

5. Signes buccaux

Masséter très volumineux (Fig.8).

Fig.8.

Perte de DV (Fig.9a), perlèche (Fig.9b).

Fig.9a : Perte de DV.

Fig.9b : Perlèche.

Supraclusie antérieure (Fig.10).

Fig.10.

Occlusion inversée, considérée comme une contrainte, un obstacle, le patient va grincer pour le lever (Fig.11).

Fig.11 : Occlusion inversée.

Une dent manquante (Fig.12).

Fig.12.

Béance antérieure ou latérale qui amène à une mauvaise mastication mais surtout à une mauvaise déglutition (Fig.13).

Fig.13 : Béance antérieure ou latérale.

Mylolyse : abfraction définie comme la perte pathologique de substances dentaires provoquées par des forces occlusales entraînant une flexion, une rupture de l’émail et de la dentine à un point éloigné du point de chargement (Fig.14).

Fig.14 : Mylolyse.

Tori qui peuvent être vestibulaire, palatin ou lingual (Fig.15a, b).

Fig.15 : (A) Tori vestibulaire.

Fig.15b. Tori palatin.

Usure dentaire occlusale (Fig.16a, b).

Fig.16a, b : Usure dentaire occlusale.

Fig.16b.

Bourrelet ou feston de MacCall et fissures de Stillman (Fig.17).

Fig.17 : Feston de MacCall.

6. Signes singuliers

Nausées, vertiges, brûlure – sécheresse buccale, brûlure de la peau de la face, sensation de gorge obstruée, glossodynie.

Traitements pluridisciplinaires

La prise en charge thérapeutique doit avant tout améliorer le confort du patient et le sortir de sa souffrance physique et mentale et de son errance médicale.

Il semble donc essentiel de :

  • rassurer le patient et lui expliquer ses symptômes,
  • travailler à supprimer ses douleurs,
  • améliorer/restaurer les fonctions masticatoires correctes,
  • modifier ses habitudes comportementales durablement.

Il est bon à savoir que 90 % du traitement provient de l’explication.

Les moyens thérapeutiques sont nombreux et dépendent de l’origine de la DCM

1. La réhabilitation prothétique

Remplacer les dents manquantes, rectifier les courbes d’occlusion, établir une occlusion équilibrée, déterminer une bonne DVO pour optimiser la mastication, l’élocution, et la respiration.

2. Le repos bouche

Le patient ne doit pas ouvrir grand, doit se tenir la mâchoire lorsqu’il baille, manger avec couteau et fourchette des petites bouchées. Éviter les chewing-gums, les gros sandwichs, les aliments durs, collants et croquants. En réalité, les dents ne se touchent qu’à la déglutition, le patient doit se reprogrammer grâce aux exercices et à une prise de conscience.

3. L’amélioration de la posture

Ergonomie et sport, exercices pour muscler et étirer, yoga, cohérence cardiaque pour une bonne respiration, détendre le diaphragme et par conséquent libérer le nerf vague, qui est le nerf de la relaxation qui fait le lien entre le cerveau et l’intestin.

4. Le massage des points douloureux

Il favorise la libération d’analgésiques naturels du corps, augmente la circulation du sang, permet l’évacuation des toxines.

5. Les exercices de la langue et de la mâchoire

Il vont étirer les muscles qui sont en cause dans la DCM et positionner la langue idéalement, elle sera tonique mais souple à sa base. Les exercices des yeux vont étirer les muscles des yeux et également permettre de redisposer les choses dans le cerveau, reprogrammer et désensibiliser [1].  Des exercices de yoga peuvent être aussi effectués, comme l’explique la vidéo sur « La dysfonction cranio-mandibulaire : symptômes, causes et exercices de yoga » réalisée en collaboration avec le laboratoire CrownCeram et la professeure de yoga Dorna Djenab (Fig.18).

Fig.18 : Scannez le code pour accéder à la vidéo.

6. La prise de conscience du patient

Pour qu’un patient puisse être davantage acteur de sa santé, il doit avant tout être conscient de sa maladie et avoir accès à des informations à son sujet. Il est donc important de l’impliquer dans toutes les étapes du processus et de lui faire comprendre les enjeux.

7. L’amélioration de l’hygiène de vie

Boire de l’eau : seuls 45 % des Français boivent 1 5 litre d’eau par jour, quantité nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme.

Faire régulièrement une activité sportive : pratiquer régulièrement une activité sportive vous permettra d’augmenter la production d’endorphine par votre corps, diminuant ainsi votre état d’anxiété.

Repenser son alimentation : respect du microbiote (limiter le sucre, les repas industriels, laitages pour diminuer l’inflammation) et adapter son mode d’alimentation à l’horloge biologique grâce à la chrono-nutrition.

Diminuer les excitants comme le café, ou le thé.

Motiver les patients à arrêter de fumer est aussi notre rôle en tant que chirurgien-dentiste.

8. La gouttière de désocclusion, maxillaire, surélevée en antérieure

L’avantage de l’orthèse est qu’elle est non invasive, réglable et bon marché. Elle permet de soigner efficacement de nombreux symptômes comme les tensions musculaires, les douleurs maxillaires, les craquements de mâchoire, les grincements de dents, les maux de dos, etc. C’est l’un des moyens les plus efficaces de traiter les problèmes de DCM à court terme. Cette gouttière (Fig.19) se porte essentiellement la nuit mais son port peut être également diurne pendant une période ou une activité stressante (examens, compétitions sportives, période de fort stress).

Fig.19 : Gouttière de désocclusion.

Dysfonction craint-mandibulaire

9. Les médicaments

Lumirelax (relaxant musculaire).

Le magnésium intervient dans 300 cycles biochimiques, au niveau musculaire et neurologique, alimentaire : il est nécessaire à l’équilibre du microbiote et agit contre l’inflammation.

La vitamine D dont la carence amène à la fatigue et aux douleurs musculaires.

Huile décontractante aux huiles essentielles.

10. La toxine botulique

Elle peut être proposée à des patients dont le muscle temporal et masséter sont très contractés et douloureux. Dans 65 % des cas, on note une efficacité dès la première injection.

11. L’hypnose pour mieux gérer le stress

L’hypnose est une technique efficace car elle s’attaque à la cause du stress, elle permet de modifier ses perceptions et de se relaxer lorsqu’une situation à l’origine de stress est sur le point de se présenter.

Conséquences

Une mauvaise prise en charge d’une DCM peut avoir des effets à plus ou moins long terme et entraîner des conséquences plus ou moins graves pour le patient.

ATM : disque lacéré, déplacé, usure des surfaces articulaires.

Dents :  usure des tables occlusales, mylolyse, fracture de racines,

Muscles contractés et donc douloureux.

Fracture céramique des restaurations en CCM.

Fracture de vis d’implants.

Et peut également être associée à des maladies chroniques telles que :

la fatigue chronique, la douleur et le bruxisme vont être à l’origine de micro-réveils et d’un sommeil de mauvaise qualité,

des reflux gastro-œsophagiens ; la fréquence est augmentée lorsqu’il y a DCM,

des impatiences, c’est-à-dire des jambes sans repos,

des apnées du sommeil,

le dentiste doit orienter son patient vers un spécialiste du sommeil.

Conclusion

Comme le diagnostic, la prise en charge est pluridisciplinaire. Nous devons travailler main dans la main avec les ORL pour éliminer une pathologie de l’oreille, l’orthodontiste pour réaliser un réalignement, les naturopathes pour un équilibrage de l’alimentation et l’apport de suppléments, les ostéopathes, les kinésithérapeutes, les orthoptistes, les orthophonistes pour lutter à long terme contre les mauvaises habitudes. Il ne faut néanmoins pas négliger son laboratoire de prothèse dentaire (Fig.20) avec lequel réaliser des gouttières de désocclusion sur mesure pour soulager rapidement le patient et se préserver ainsi de l’usure prématurée.

Fig.20.

Auteur

Dr Djavaneh ZAMANIAN

Chirurgien-dentiste

Diplômée de la faculté dentaire de Strasbourg

Diplômée en traitement de la douleur par l’hypnose

Attachée au service maxillo-facial de l’hôpital de Hautepierre 2

Formation en thérapie par mouvements oculaires

DU micronutrition

Bibliographie

Mongini et al., ” Muscle tenderness in different types of facial pain and its relation to anxiety and depression: a crosssectional study on 649 patients ” Chikhani Dichamp AOS 2010 (botox). Vianet – Bonnefoy 2013 (Fig.1, Fig.2).Orthlib La Planche, réalité clinique 1996. Landouzy, ostéopathe 2011. Bélet, Fleiter, Cazals Dysfonction de langue et myalgie de l’appareil manducateur, ID mai 2015. MT. Odontologie et médecine du sommeil. Quintessence international 2012. Brocard D, Laluque JF., Bruxisme et prothèse conjointe 11/1997. P.-H. Dupas, Le dysfonctionnement cranio-mandibulaire. Éditions CdP, 2011.  Barrière, Lutz, Zamanian, Wilk, Rheim, Veillon, Kahn, Oral and maxillofacial surgery 2009. Wright EF. Relationship between otologic and TMD symptoms. In : Current concepts on temporomandibular disorders. Manfredini D. Quintessence Publishing. 2010 : 275-282. Ohmure H, Kanematsu-Hashimoto K, Nagayama K, Taguchi H, Ido A, Tominaga K, et al. Evaluation of a Proton Pump Inhibitor for Sleep Bruxism: A Randomized Clinical Trial. J Dent Res. déc 2016;95(13):1479-86. Aloe F. Sleep bruxism neurobiology. Sleep Sci. 26 déc 2008;2(1):40-. [1]  Apaiser le cerveau par le mouvement des yeux, Sciences et Avenir, février 2019, n° 864.