La mise en charge immédiate en implantologie basale

Dès la publication des travaux sur l’ostéointégration par le professeur Branemark [1] l’implantologie s’est traduite par la pose d’un implant axial adapté à une approche crestale. Cependant, depuis 1984 grâce aux travaux du Dr Scortecci [2], il existe une autre approche dite basale. Cette approche s’adapte à toutes les formes de crêtes osseuses et prend tout son sens dans des maxillaires très atrophiés. En implantologie basale, les critères de succès de l’ostéointégration sont les mêmes qu’en implantologie axiale. La maîtrise du geste opératoire représente la difficulté majeure de la méthode. Un apprentissage s’appuyant sur un enseignement encadré est donc nécessaire. Il aboutira en France en l’obtention d’un diplôme universitaire délivré par la faculté de médecine de Nice-Sophia Antipolis. Il existe un fabricant français d’implants (Victory, Nice) et des clones fabriqués ailleurs en Europe.

Les implants basaux

Le premier implant à notre disposition, le Diskimplant est un implant en forme de disque dont la mise en place nécessite la réalisation d’une ostéotomie dans les trois sens de l’espace pour permettre son impactage par voie latérale (Fig.1).

Fig.1 : Diskimplant de 9 mm de diamètre.

Cet implant en titane est usiné dans la masse sans rajout ni soudure ; il peut comporter 1, 2 ou 3 disques de différents diamètres. Il existe des disques cylindriques, de même que des disques asymétriques. L’ostéointégration est identique à celle de l’implantologie axiale, ces implants doivent être validés cliniquement et radiologiquement. Les critères techniques de cette approche ont été largement documentés [3] .

La maîtrise du geste opératoire représente la difficulté majeure de la méthode et un apprentissage s’appuyant sur un enseignement encadré est donc nécessaire. Comme pour les implants axiaux, c’est le projet prothétique qui sert de référence au positionnement des implants basaux.

Enfin, des implants à plaque, des implants ptérigoidiens, des implants angulés et des implants cylindro-coniques Fractal et Fratex complètent notre gamme d’implants, nous permettant ainsi de gérer toutes les situations cliniques (Fig.2, 3a et 3b).

Fig.2 : Diskimplant à plaque de 33 mm/9 mm.

Fig.3a : Fractal de 11 mm/3,75 mm.

Fig.3b : Fratex de 12 mm/3,3 mm, Fractal angulé de 18 mm/3,3 mm, Fractal ptérigoidien de 16+4 mm/3,3 mm.

Ces implants ont en commun un pilier intégré présentant un hexagone externe protégé par un carénage cylindrique conique (émergence monobloc). Ainsi, la connexion implanto-prothétique est réalisée par un vissage à plat optimisé par un serrage conique.

La mise en charge immédiate

Cette technique est parfaitement codifiée et de nombreuses publications citent des taux de succès équivalents aux mises en charge différées [4, 5, 6]. Cette mise en charge immédiate est finalisée par la pose, dans un délai de 2 à 5 jours après la mise en place des implants, d’un bridge transitoire vissé métal/résine. Ce bridge transitoire est l’élément fondamental du traitement. C’est un dispositif monobloc de forte rigidité, véritable fixateur externe qui réunit les implants. En cas d’atrophie osseuse importante au maxillaire supérieur, l’armature comportera une entretoise palatine qui sera coupée à un an postopératoire (Fig.6a).

Fig.6a : Bridge maxillaire vissé avec une entretoise palatine.

Le vissage se fait toujours passivement et en cas de difficulté, des bagues usinées en titane sont collées secondairement dans l’intrados de l’armature. Le décollement des bagues de collage reste exceptionnel [8] et facilement réparable : il suffit de nettoyer la bague et la logette puis de recoller.

Cette technique permet ainsi de se dédouaner des variations dimensionnelles liées à la coulée métallique [7] (Fig.4 et 5).

Fig.4 : Composants pour technique de collage (de gauche à droite) : préforme calcinable, bague de centrage (laiton), bague de collage (titane), vis de fixation or M1.4, vis de laboratoire.

Fig.5 : Cire d’armature : mise en évidence de 8 logettes receveurs pour le collage des bagues titane et de 2 coulées pour vissage direct implant.

Le plus souvent, le prothésiste dentaire utilise au sein du laboratoire et en fonction du montage esthétique préalable, des préformes calcinables « direct implant », sans bague de collage. La fausse gencive maquillée et les dents en résine seront montées classiquement. La mise en place finale est facilitée par le vissage à plat. Ce bridge de transition est de conception définitive, il peut donc être laissé en place. Dans certains cas où l’exigence esthétique prime, il peut être remplacé au bout de 12 à 18 mois par un bridge d’usage définitif. Le protocole est identique à la mandibule comme au maxillaire. Dans le cas d’édentement unilatéral, la mise en place d’un nombre suffisant d’implants, (au moins 4) chacun à fort ancrage primaire, permet la réhabilitation prothétique précoce du sujet.

Conception

Le prothésiste dentaire doit être rompu aux techniques de coulée de grandes armatures monolithiques en précieux comme en non précieux. Celles-ci seront en forme de « L » (rigides et légères). Le métal est surtout disposé en vestibulaire, facilitant ainsi les retouches sur la résine. Dans la mesure du possible, les arcades en « V » seront arrondies en « U » afin de mieux répartir les forces.

Dès la pose des implants, la mise en place des piliers transgingivaux est réalisée s’il y a lieu. L’émergence des implants doit impérativement se situer à une hauteur supérieure ou égale au niveau de la surface de la gencive suturée. Ces piliers pourront être déposés lors de la phase finale afin d’améliorer l’esthétique de la prothèse d’usage. Une grande rigueur dans la technique d’empreinte est requise : réalisée à ciel ouvert ou sans porte-empreinte dans le cas d’édentement total, elle impose préalablement de réunir solidement tous les transferts d’empreinte à l’aide d’une résine dure du type Luxabite.

La prise de la DVO se réalise à partir de la cire sur maquette résine stabilisée par 2 à 3 implants ou un guide chirurgical, ou l’ancienne PPA rebasée. Avant la phase laboratoire, la mise en articulation se fait au cabinet dentaire.

Phases de laboratoire

Placer si nécessaire une bague de centrage (laiton) à usages multiples sur chaque analogue à l’aide d’une vis de laboratoire.

Couper les calcinables à bonne hauteur et les poser sur les bagues.

Modeler l’armature avec de la cire et ou de la résine calcinable, utiliser des billes de rétention et placer les tiges de coulée.

Dévisser et sortir la maquette, retirer les bagues de centrage par en dessous, mettre en revêtement puis couler l’armature.

Dégrossir et finir l’armature (les logettes de collage doivent être nettes), puis polymériser la partie cosmétique.

Dans chaque logette de l’armature, placer et visser pour vérifier qu’elles s’engagent à fond et sans tension dans les bagues de collage en titane.

Dévisser et replacer dans les logettes les bagues enrobées de colle résine pour attachement, puis revisser le bridge sur le maître modèle en occlusion et contrôler le dépassement de colle avant durcissement ainsi que les cheminées d’accès aux vis (Fig.6b, 7).

Nous obtenons alors une passivité totale du bridge.

Fig.6b : Bagues collées dans l’intrados de l’armature.

Fig.7 : Bridges terminés.

Pose du bridge

Après l’essayage en bouche, facilité par la passivité, régler l’occlusion, vérifier l’esthétique et la phonation puis répartir le vissage manuel (vis or M1.4). Enfin, contrôler radiologiquement le bon ajustage de l’armature (Fig.8a et 8b).

À 24 h, resserrer manuellement les vis à 10 N/cm, fouler une boulette de téflon dans le puits de chaque vis et le recouvrir à l’aide d’un composite.

Fig.8a et b : Contrôles radiologiques du bon ajustement des armatures après vissage.

Fig. 8b.

Évolution

Le bridge transitoire de forte rigidité vissé passivement nous semble être une bonne réponse au cahier des charges de ce type de traitement, pour le chirurgien-dentiste comme pour le prothésiste dentaire. Utilisée pour une mise en charge immédiate, cette technique évite le port d’une prothèse amovible transitoire ainsi que la chirurgie de réouverture.  Un grand changement dans nos protocoles se met en place avec l’arrivée des empreintes réalisées à l’aide d’une caméra optique. En effet, celles-ci nous permettent de « matcher » les informations cliniques précises en complément de l’imagerie osseuse avec une transmission immédiate sans déformation d’informations vers le prothésiste (Fig.9).

Fig.9 : Empreintes optiques matchées avec le CBCT et la planification implantaire.

Nous pouvons ainsi programmer une mise en charge immédiate ultra-précise, à l’aide d’un bridge fabriqué en amont de la chirurgie et vissé le jour de celle-ci !  Avec les nouvelles mises aux normes, le chrome/cobalt devrait probablement être retiré du marché, cette situation permet l’avènement de nouveaux matériaux polymères (PEEK, PMMA, etc.). Notre choix s’est porté depuis un an sur le Zantex (Fig.10), il s’agit d’une PMMA qui, grâce à un réseau tridimensionnel de fibre de verre dans la matrice de polymère, va acquérir des propriétés mécaniques très proches de celles de l’os cortical (Fig.11).

Fig.10 : Disque usiné de Zantex en CAO.

Propriétés mécaniques du Zantex

Fig.11 : Propriétés mécaniques du Zantex.

Ces fibres vont permettre une adhésion parfaite aux composites, acryliques et céramiques, propriété protégeant du délaminage.

Les disques standardisés Zantex permettent la confection d’une armature en utilisant les logiciels de CFAO. L’usinage à sec se fait très facilement sur les machines 5 axes du marché avec les stratégies de fraisage classique des PMMA (Fig.12, 13, 14).

Fig.12 : Réalisation de la CAO.

Fig.13 : Prothèse finie avec ses bagues de collage.

Fig.14 : Contrôle radiologique du bon ajustement et du bon vissage de la prothèse.

Ce flux numérique bien maîtrisé ouvre la porte à une vraie révolution dans la manière de conduire nos traitements, cette révolution va impérativement rentrer dans nos cabinets dentaires.

Auteur

Dr Renaud PETITBOIS

Docteur en chirurgie dentaire, DU implantologie, DU implantologie basale

Chargé de cours au DU implantologie basale, IUFC Pasteur Nice

Expert judiciaire près la cour d’appel d’Aix-en-Provence

renaud@petitbois.org

Thomas MUSSO

Prothésiste dentaire (laboratoire Newtech à Antibes)

labonewtech@gmail.com

Bibliographie

1/ Branemark PI, Zarb GA, Albrektsson T, Tissue-integrated prostheses. Osseointegration in clinical dentistry. Chicago : Quintessence books, 1985.

2/ Scortecci GM. The Diskimplant : a self-positioning pure titanium implant. Proceedings of Oral Implantology, Munich, 1984.

3/ Scortecci GM, Misch CE, Benner KU. Implants and Restorative Dentistry. Londres : Martin Dunitz, 2001.

4/ Scortecci G, Modschiedler T. Ostéointégration et mise en charge immédiate : 15 ans de recherche et d’application clinique dans le traitement du maxillaire totalement édenté. Implantodontie 1997 ; 27 :1-27.

5/ Tarnow DP, Emtiaz S, Classi A. Immediate loading of threaded implants at stage 1 surgery in edentulous arches: ten consecutive case reports with 1-to-5 year data. Int J Oral Maxillofac implants 1997 ; 12 : 319-24.

6/ Petitbois R, Scortecci G. Le bridge transitoire lors de la mise en charge précoce : Historique, conception, mise en place, évolution. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2006 ; 107 : 455-459.

7/ Jemt T. Three-dimensional distortion of gold alloy casting and welded titanium frame- works. Mesurements of the precision of fit between completed implant protheses and the master cast in routine edentulous situations. J Oral Rehabil 1995 ; 22 : 557-64.

8/ Petitbois R, Ansel A, Menetray D. Prothèses vissées sur implants : intérêt des bagues collées, taux de succès à 5 ans. CDF n°1303-1304 ; 10-17 ; Mai 2007 : 37-40.