Chirurgiens-dentistes : les nouvelles stars des réseaux sociaux ?

« Je suis abonné à un dentiste sur les réseaux sociaux. Va voir sa page, il est trop cool. » Qui aurait pu imaginer il y a seulement un ou deux ans que cette phrase pouvait devenir réalité chez les adolescents ? En réalité, même les influenceurs que nous avons rencontrés n’ont pas vu venir cet engouement. Si bien que leur succès est encore mal maîtrisé. Par eux-mêmes, mais surtout par les instances du métier, syndicats ou organismes publics de santé qui ne savent pas comment considérer, encadrer ou valoriser ces professionnels de santé.

Tous ont demandé à conserver leur anonymat dans cet article et à n’être mentionnés que par l’intermédiaire de leur pseudo. Après vérification de leur identité et de leur plaque, nous leur avons accordé ce droit. « Pour éviter toute attaque de l’Ordre, ni mon nom ni mon adresse n’apparaissent sur mon compte. On ne peut donc pas m’accuser de faire de la publicité pour mon cabinet » entame Lapetitedent, présente sur Instagram.

Car si la législation en matière de communication professionnelle a évolué en décembre 2020, le texte n’est pas assez précis pour savoir comment se positionner précisément sur les réseaux sociaux et jusqu’où peut aller une collaboration avec un annonceur. Paradoxalement, ce sont les influenceurs aux fortes audiences qui sont le plus en attente de clarification. Soucieux de rester dans les clous, ils naviguent à vue sur les possibilités qui s’offrent à eux. « Forcément, le praticien qui a seulement quelques centaines de fans se pose moins de questions. Il est moins exposé et moins sollicité », souligne d’emblée Onlysmilin.

Régulièrement sollicité sur le sujet de ces dentistes-influenceurs, l’Ordre national des chirurgiens-dentistes a établi un point sur la question dans sa Lettre de mars. « Une limite claire doit être tracée entre ce qui est acceptable et ce qui contrevient aux principes déontologiques, fondements de la confiance du public envers notre profession », rappelle l’instance. « Certains praticiens, parfois trompés par des “conseillers” en publicité et communication, sont en effet persuadés que tout est autorisé depuis la “libération” de la communication des professionnels de santé, et qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent en matière de publicité. Cela n’est pas le cas ».

Ainsi, un chirurgien-dentiste a le droit d’être influenceur ou Youtubeur, dans le privé, si cela n’a pas de lien avec son exercice ou pratique. « Il reste soumis au droit commun, mais aussi au Code de déontologie et au Code de la santé publique », insiste l’Ordre.

À titre professionnel, « l’activité devra être circonscrite à la diffusion d’informations sans lien ou rattachement possible avec son exercice professionnel, sans publicité pour un tiers ou une marque, directe ou indirecte ». Le chirurgien-dentiste a donc interdiction de se servir de son influence sur les réseaux sociaux pour avoir recours à des placements de produits. Il n’est pas non plus autorisé à signer des contrats avec des marques dentaires, à être rémunéré en fonction de son nombre de followers, de vues ou d’abonnés. La publicité personnelle et/ou pour sa structure de soins est également à proscrire, ainsi que toute « orientation de consommation dentaire », « la mise en scène entre sa vie privée et sa vie professionnelle », « la recherche du sensationnel » ou encore le « dénigrement d’autres pratiques ».

Le Dr Never, Instantmah et Onlysmilin

Un phénomène étudié

Cumulé, on parle ici de plus de trois millions de personnes qui consultent, en France, plusieurs fois par jour les vidéos de ces chirurgiens-dentistes, notamment sur Tiktok. C’est à la faveur de ce nouveau réseau social et du premier confinement que certains comptes ont explosé. « L’une de mes premières publications a été tournée pendant mes gardes, il n’y avait pas beaucoup de patients, j’avais du temps. J’étais en tenue, FFP2, blouse et calot, j’ai posté une vidéo insignifiante », raconte le Dr Never.

Résultat : plus de 100 000 vues et des dizaines de commentaires. Il réitère alors l’expérience, même aboutissement. Notre praticien comprend alors deux choses : « La première, c’est que j’étais en train de casser l’image du dentiste qui fait peur et contre laquelle on se bat dans nos cabinets. Là, en quelques minutes, j’avais été plus efficace que jamais. La deuxième, c’est que je pouvais servir la santé publique. » Un phénomène anticipé par le Dr Inès Meisels, alias Dr M sur les réseaux. Diplômée de la faculté de Strasbourg, sa thèse portait sur ce sujet précis : « La dentisterie au travers des vidéos des youtubeurs : influence et conséquences sur l’internaute-patient ». Son travail (commencé en 2015) a permis de démontrer que plus d’une vidéo sur deux traitant de santé bucco-dentaire sur Youtube est de qualité informative faible et peut présenter un danger pour la santé des internautes-patients.

Conclusion : ces vidéos et ces influenceurs ont un réel impact sur la pratique des chirurgiens-dentistes. C’est donc comme le messie que le Dr Inès Meisels voit arriver sur la toile des confrères diplômés pour délivrer la bonne parole.



Tiktok, la plateforme qui monte

Avec plus de 500 millions d’utilisateurs, dont les deux tiers ont moins de 30 ans, Tiktok est sans conteste le réseau social favori des 15-20 ans. C’est l’application qui représente le plus la génération Z qui a trouvé avec ce nouveau format un moyen de communiquer en adéquation avec ses envies et ses besoins en termes de divertissement. Un utilisateur passe en moyenne 52 minutes sur Tiktok, une durée de session bien plus longue que sur Facebook ou Instagram. Sur cette plateforme, les utilisateurs créent des contenus courts et divertissants qui captent l’attention en quelques secondes.

 


État des lieux

Ils sont actuellement une petite dizaine à se partager la scène. Ces plateformes étant consommatrices de nouveaux visages, on peut imaginer que d’autres praticiens se feront bientôt connaître. Incontestablement, le leader de ce groupe reste à ce jour le Dr Never. Avec une communauté de plus de 2,5 millions d’abonnés sur Tiktok et Instagram, ce chirurgien-dentiste du sud de la France a gagné sa notoriété durant le premier confinement. Onlysmilin compte, lui, 315 000 fans.

Comme la plupart des influenceurs, ses vidéos gravitent autour de trois pôles : messages de prévention, présentation du métier et anecdotes humoristiques. Le tout sur fond d’animation et de montage qui font la marque de fabrique de tout bon réseau social, notamment Tiktok. « On peut tout faire, tout dire. Mais il faut être inspiré et respecter les codes de chaque réseau. C’est tout le défi, savoir comment s’exprimer pour parvenir à faire passer notre message. C’est peut-être fou à dire mais cela nécessite une expertise », assure le Dr Never. Quand on voit que certaines de ses vidéos sont vues par plusieurs millions d’internautes, on ne peut que le croire…

Les.maux.de.la.bouche touche plus de 32 000 abonné(e)s sur Instagram. Présenté comme un compte de vulgarisation, il ne livre que des conseils et des informations de santé. À son opposé, toujours sur Instagram, Instantmah et ses 3 000 fans n’évoque presque jamais son métier et expose son travail photographique autour de la mode et du « lifestyle ». Mais sur Tiktok, ce même praticien multiplie par trente son audience en évoquant… sa profession de chirurgien-dentiste ! Les jeunes seraient donc plus intéressés par leur santé que par leur apparence. Qui l’eût cru ?

Guerre d’opinion

« On peut être pertinent avec de l’humour. C’est ce qui manque aux messages institutionnels », résume Instantmah. Cela interroge le rôle des praticiens de santé. Doivent-ils investir ces agoras virtuelles qui laissent majoritairement la place aux apprentis sorciers ou autres « expert en santé » bien mal informés ? Les messages à caractère préventif délivrés par les institutions ne trouvent pas suffisamment d’écho dans le grand public. Leur impact est donc limité. En revanche, la même information délivrée par un chirurgien-dentiste charismatique sur les réseaux sociaux séduit un public réceptif.

« En incarnant le message, il devient plus crédible. Ma communauté me fait confiance, notamment parce que je ne fais jamais de placements de produits. D’ailleurs, quand je réponds à des influenceurs aux recettes miracles pour leur dire que leur solution pour obtenir des dents blanches est inefficace voire dangereuse, les internautes reconnaissent ma qualité de docteur. Ils savent que je dis la vérité face à une personne qui ignore tout de la santé bucco-dentaire. Il faut donc investir ces zones de parole pour délivrer des messages de santé publique », analyse le Dr Never.

Être absent de ces agoras reviendrait donc à devenir muet et à laisser s’étendre des informations fausses qui – in fine – viennent parasiter la relation soignant-soigné au fauteuil. Même analyse pour Onlysmilin, 27 ans, qui voit dans cette pratique une normativité générationnelle. Pour lui, ces canaux de communication offrent une possibilité nouvelle : s’adresser directement à un patient sans être son praticien référent. « Je ne connais pas les gens à qui je m’adresse. Je n’ai pas de consignes à leur communiquer, ils n’ont aucun compte à me rendre. Mes conseils apparaissent donc totalement désintéressés. Pour mes abonnés, je suis plus un docteur sympa qu’un donneur de leçons. »


Un dentiste peut-il s’associer à un influenceur

Non. La réponse est sans appel. D’une part, le Code de la santé publique dont la dernière évolution date du décret du 22 décembre 2020, interdit « toute publicité intéressant un tiers ou une entreprise industrielle ou commerciale ». D’autre part, comme le rappelle Steve Toupenay, l’ancien secrétaire général de la commission exercice et déontologie de l’ONCD, l’Ordre maintient « fermement l’interdiction de pratiquer la publicité qui assimilerait l’exercice à du commerce » (voir La lettre de l’Ordre de mars 2021). Or, un partenariat avec un influenceur est assimilable à de la publicité. Vous savez donc quoi répondre aux instagrameuses qui vous proposent d’évoquer votre bon travail contre un blanchiment dentaire à l’œil !


Des lignes qui bougent

Quel modèle émergera dans les années à venir ? Difficile à prévoir tant les évolutions sont rapides. Mais il est clair que l’apparition d’influenceurs dentaires diplômés des facultés d’odontologie vient modifier la disposition de l’échiquier. Si les institutions hésitaient à financer des blogueurs santé, elles semblent changer de stratégie avec les professionnels. Le Dr Never a par exemple noué une collaboration avec la Sécurité sociale, relayée via les comptes Ameli.

D’autres ont été approchés par des organismes publics pour réfléchir à la production de vidéos de prévention, rémunération à la clef. « Il faut tout de même clarifier un point. Nous avons la chance d’avoir une profession qui rapporte de l’argent. Je refuse presque toutes les demandes de sponsoring, je ne travaillerai qu’avec des sociétés qui correspondent à mon exercice ou qui œuvrent pour la santé publique », précise Onlysmilin. Les bus de l’UFSBD dans les écoles seront-ils un jour remplacés par des instagrameurs et des téléconsultations ? Probablement pas tout de suite. La majorité des patients apprécient (encore) les relations directes avec leur praticien.


Zoom sur les critères de rémunération des influenceurs

Les tarifs des influenceurs varient selon plusieurs caractéristiques.

  • La taille de leur communauté : il existe les macro-influenceurs ou célébrités (plus de 100 000 abonnés), les micro-influenceurs (entre 10 000 et 100 000 abonnés) et les nano-influenceurs (moins de 10 000 abonnés).
  • L’engagement suscité : le taux d’engagement est le critère le plus utilisé par les marques car il est signe de succès, de viralité et d’interactions. Selon le réseau social concerné, on utilisera différents éléments pour le mesurer, notamment les partages, likes et commentaires.
  • L’ampleur du dispositif et le type de contenu : cela correspond à la taille et la durée de la campagne ainsi que le nombre de posts. La production d’une vidéo demande plus de ressources qu’une simple publication, chaque type de contenu ne requiert en effet pas le même temps et la même implication.

La rémunération des influenceurs

Les prix varient en fonction des réseaux sociaux. Instagram reste pour le moment le canal le plus utilisé dans l’influence marketing. Il reste la plateforme idéale pour les opérations de communication avec des posts esthétiques et des influenceurs au plus près de leur communauté. Les nano-influenceurs (moins de 10 000 abonnés) peuvent gagner jusqu’à 120 € par publication tandis que les comptes possédant plus de 500 000 followers peuvent être rémunérés entre 4 000 et 20 000 €.

Le coût d’une publication sur Facebook est en moyenne moins élevé que sur Instagram car l’algorithme du géant créé par Mark Zuckerberg met en avant les conversations personnelles, alors qu’Instagram favorise l’engagement et la pertinence des contenus. Une publication sur Twitter ou sur Snapchat est en moyenne moins onéreuse que sur Youtube car le processus créatif demande moins d’investissement pour l’influenceur.

Sur ces deux derniers réseaux, un nano-influenceur coûtera entre 0 et 100 € à l’annonceur, tandis qu’une vidéo Youtube pourra atteindre jusqu’à 2 000 €. Avec plus de deux milliards de téléchargements cette année, Tiktok, l’application de vidéos courtes, connaît un succès fulgurant. Les marques commencent à investir de plus en plus sur ce réseau social prometteur adulé des adolescents et qui possède déjà une communauté non négligeable d’influenceurs. Les comptes qui possèdent entre 100 000 et 1 million de followers peuvent obtenir entre 300 et 3 000 € par publication. Les comptes de moins de 100 000 abonnés sont quant à eux rémunérés entre 75 et 300 €.


️Les chiffres clés du marché de l’influence marketing en 2020 ️

  • 15 milliards de dollars : c’est ce que devrait représenter le marketing d’influence en 2022. En 2019, le marché était déjà estimé à 6,5 milliards de dollars.
  • 6,50 dollars pour 1 dollar investi : c’est le retour sur investissement moyen du marketing d’influence.
  • 90 % des campagnes d’influence incluent Instagram dans leurs stratégies.
  • 70 % des adolescents accordent plus de confiance aux influenceurs qu’aux célébrités « traditionnelles ».

Docteur Vs Business

À la différence d’une célébrité venue de la téléréalité, les chirurgiens-dentistes ont un code de déontologie. Engagés dans un combat en faveur de la santé publique, tous les influenceurs interviewés refusent catégoriquement d’accepter des offres commerciales qui ne seraient pas en parfaite adéquation avec leurs convictions médicales. « De toute façon, il faut dire les choses clairement. Sur du long terme, pour gagner de l’argent, les chirurgiens-dentistes et les ortho n’ont qu’à ouvrir plus longtemps leur cabinet. Ce sera sans doute plus rentable que de se faire payer pour une vidéo qui nous demande des heures de travail. Je ne fais ça que par plaisir, comme un loisir », insiste le Dr Never.

Autre garde-fou : la législation. Depuis le 24 décembre 2020, les chirurgiens-dentistes sont « libres de communiquer au public, par tout moyen, y compris sur un site internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son parcours professionnel et aux conditions de son exercice ».

Mais tout n’est pas permis ! En France les professionnels de santé n’ont pas le droit de faire la promotion d’une marque ou d’un produit. De quoi calmer les rêves les plus fous des annonceurs… « Heureusement ! Ce serait ouvrir la porte à une marchandisation de la santé. Les critères qui nous conduisent à proposer des produits ne doivent être guidés que par leur qualité et leur efficacité, sûrement pas par un aspect financier ! » appuie Lapetitedent, auteure d’une thèse intitulée : « Nouveaux moyens de communication : la place occupée par Instagram en odontologie ».

Des annonces qui ne disent pas leur nom

L’une des forces incontestables des industriels qui dominent le marché reste leur capacité à développer une vision prospective. Ils explorent les futurs possibles, parfois à perte, mais imaginent continuellement à quoi pourrait ressembler l’avenir. Dans le secteur dentaire, des sociétés proposent à des chirurgiens-dentistes de vanter leurs traitements esthétiques.

Mais, nous l’avons dit, les praticiens sont dans l’interdiction de citer des marques. Aucun souci pour certaines entreprises qui jouissent déjà d’une bonne renommée ! Le seul fait de faire connaître leur classe de produits suffit à leur amener de nouveaux clients. Beaucoup plus agressifs, des fabricants de gouttières souvent implantés hors de France, sponsorisent des célébrités pour vanter leur produit. Et au passage, bafouer l’expertise des chirurgiens-dentistes ou des orthodontistes… Exemple avec ce message publié par Samanthaload sur son blog :

« Hello à tous, aujourd’hui je vous parle de mes dents et de mon grand complexe, qui j’espère ne sera qu’un vieux souvenir grâce à des gouttières dentaires ! Je me suis intéressée à une nouvelle méthode de redressement dentaire : les gouttières invisibles ! Seulement, après une visite chez mon orthodontiste, je me suis rendue à l’évidence. Cette nouveauté était hors de prix et pas du tout remboursée ! J’ai donc mis aux oubliettes l’idée d’avoir un sourire parfait et je m’étais conditionnée à ne plus sourire en photo. Mais voilà, il y a deux mois, j’ai été contactée par XXX. Ils m’ont choisie pour tester leurs aligneurs et donner mon avis personnel. XXX propose des gouttières dentaires transparentes à des prix plus que raisonnables. Et sans déplacement en cabinet dentaire, la première raison qui ma poussée à accepter. »

Des dérives qui ont poussé la Fédération française d’orthodontie à réagir par intermédiaire d’un communiqué de presse en 2019. « Le principal défaut de ces aligneurs est finalement que les sociétés commerciales les distribuant les présentent comme une technique facile, convenant à tous les patients. La FFO rappelle que le principal élément de la réussite d’un traitement d’orthodontie restera toujours le diagnostic, établi sur un patient unique, après un examen clinique et radiographique », explique le collectif. C’est en substance pour émettre ces mêmes évidences que nos influenceurs diplômés des facultés investissent le terrain des réseaux sociaux. « C’est assez incroyable le nombre de bêtises que l’on croise. Surtout en matière d’esthétique. Heureusement, notre titre de professionnel de santé renforce notre crédibilité. On déconstruit souvent ce que certains instagrameurs affirment. Il ne faut pas laisser champ libre à ceux qui s’improvisent Docteur », insiste le Dr Never.

Des collaborations sur le long terme

C’est sans conteste la tendance la plus évidente pour les années à venir : construire des partenariats à long terme avec des « influenceurs ». Aujourd’hui, la majorité des professionnels du marketing délaissent les campagnes « one-shot » pour aller vers le développement de relations de longue durée avec les stars des réseaux. L’idée est de développer des collaborations qui permettent une réelle synergie.

Mais si les marques utilisent le marketing d’influence pour développer leur notoriété, les influenceurs, eux aussi, ont leurs propres ambitions et préfèrent les opérations de communication originales qui correspondent à leur vision. Car si aucun système de rémunération n’est encore établi, certains consacrent plusieurs heures par jour à leur activité. Travailler gratuitement pour soi-même, et par passion, oui… mais travailler pour satisfaire la commande d’un tiers est une question bien plus délicate. « En créant ma communauté, je ne sais pas vers quoi je me dirige. C’est une opportunité qui s’offre à moi. Je veux diversifier mon activité professionnelle. Pour l’instant, elle ne sert que mes intérêts et ne fait l’objet d’aucun business. C’est donc du bénévolat mais je ne ferme la porte à aucune collaboration dans le monde du dentaire, ou ailleurs », assure Instantmah.


Inès Meisels, chirurgien-dentiste, et présidente de l’AVASN et Youtubeuse

Quel est votre parcours ?

J’ai fait mes études à Strasbourg et y ai soutenu ma thèse en 2017. Sans surprise, le sujet était « La dentisterie au travers des youtubeurs : influence et conséquences sur l’internaute-patient ». Les réseaux sociaux me fascinent depuis que je suis arrivée en première année de médecine. J’ai très vite compris les problèmes de santé publique qu’ils impliquent… En 2011, on trouvait déjà des tutos pour se blanchir les dents sur Youtube, certains avec des méthodes douteuses…

En quoi consiste l’AVASN ?

Les conclusions du travail de thèse soulevaient de nombreuses problématiques et il nous semblait impossible de nous arrêter sans tenter d’y répondre. C’est pourquoi nous avons créé l’Agence de veille et d’actions sanitaires numériques avec le Dr Damien Offner, mon directeur de thèse. Le but est de travailler sur des solutions pour limiter la désinformation médicale qui passe par les réseaux sociaux. Cela passe par des moyens de certification, des travaux avec les étudiants, etc. Nous avons fait des démarches pour obtenir des reconnaissances institutionnelles. Il est cependant difficile d’y accéder pour le moment : le monde des réseaux sociaux est vaste, hétéroclite mais encore trop peu cadré. Nous avons de bons espoirs car le Collège national des chirurgiens-dentistes universitaires en santé publique (CNCDUSP) a montré un intérêt pour la problématique et a décidé de s’impliquer : nous sommes sur le point de concrétiser un partenariat.

Comment travaillez-vous avec les professionnels de santé présents sur les réseaux ?

Nous leur proposons de travailler ensemble selon une charte qualité exhaustive : preuve de leur qualité de travail, de leur transparence à propos de leur profession et de leur respect du code de déontologie. Cette charte est disponible librement sur le site Web de l’AVASN. Les personnes travaillant avec nous peuvent aussi rejoindre un groupe de discussion permettant d’échanger, d’alerter sur des choses douteuses ou encore de s’entraider et de faire naître des collaborations avec des personnes de confiance.


Un travail chronophage

Pour satisfaire l’appétit des algorithmes, les influenceurs sont condamnés à publier au moins une vidéo par jour. En réalité, ceux que nous avons interviewés triple cette fréquence. Si, en moyenne, il s’agit de pastilles d’une vingtaine de secondes, encore faut-il trouver l’inspiration ! Une charge mentale qui s’ajoute à celle du cabinet. 

Le Dr Never consacre « environ deux heures par jour » à la gestion de ses réseaux sociaux. Le lundi matin, il bloque régulièrement son agenda pour retrouver son binôme Batzair (+ de 3 000 000 d’abonnés sur Tiktok) avec qui il enregistre plusieurs vidéos pour la semaine à venir. « Au cabinet, je me consacre à mon rôle de praticien. Le soir ou à la pause déjeuner, je travaille sur les réseaux. »

En plus de ses publications quotidiennes, Onlysmilin propose à ses abonnés, « trois ou quatre fois par semaine des live à 22 heures ». Soit au total, plus de deux heures de travail par jour. Quant à Instantmah, il parvient « entre deux patients à faire des petites vidéos », puis dès sa sortie du cabinet à 17 heures, il se consacre à son compte sur Instagram. Tous s’appuient sur leur communauté pour trouver leur inspiration, notamment en répondant aux questions de leur audience.

Ils puisent aussi dans leur quotidien au cabinet pour raconter de manière insolite leur journée. « Je m’inspire de faits réels, mais je change tout. Par exemple, s’il s’agit d’une femme qui est venue un mardi, je vais parler d’un homme soigné il y a des semaines. Je conserve l’anonymat des patients et respecte strictement le secret médical », renseigne le Dr Never. Une vraie gymnastique intellectuelle. « Je ne considère pas cette activité comme un travail supplémentaire. Elle conjugue mes passions : la transmission du savoir, la nourriture saine et la santé, conclut Lapetitedent. Mon Instagram est une prolongation de mon métier, il se propage désormais au-delà de murs du cabinet. »