L’apport de l’image mentale dans la pratique de la chirurgie dentaire
Tous les jours, vous soignez. À force, certaines interventions, certains gestes sont presque devenus automatiques. Vos protocoles sont rodés et si, bien sûr, l’exercice clinique offre toujours son lot de surprises peropératoires, globalement, vos actes se suivent selon une rassurante routine. Et puis, parfois, il y a cette intervention particulière, parce que c’est la première fois que vous la menez, parce qu’elle est plus complexe ou parce que le contexte nécessite une attention particulière. Dans ces cas-là, peut-être vous préparez-vous d’avantage ? Vous relisez deux fois les radios, vérifiez la check list du matériel et repassez séquence par séquence le protocole en prévoyant pour chaque difficulté, une alternative. Si telle est votre habitude, vous préparez vos interventions comme un sportif de haut niveau prépare ses compétitions. Vous pratiquez l’image mentale.
Qu’est-ce que c’est ?
La notion d’image mentale est décrite pour la première fois en 1931 par Jackobsen [2]. Elle peut être définie comme étant « la répétition symbolique d’une action physique, qui peut être reliée selon les cas à une situation, un concept ou un acte à effectuer, en l’absence de mouvement musculaire identifiable » [3]. Autrement dit, la projection intellectuelle de la mise en œuvre du geste stimulerait les mêmes zones cérébrales que la réalisation du geste en elle-même et permet de mieux préparer celui-ci. À la fois par une meilleure anticipation des évènements et une meilleure gestion du stress mais aussi « en chauffant les muscles ».
Il existe plusieurs analogies entre le chirurgien et l’athlète de haut niveau. Dans les deux domaines, il y a une composante primordiale des compétences techniques qui doivent être réalisées dans un environnement stressant associé à la nécessité de s’adapter à des situations changeantes. En 2013, Coks suggère aux chirurgiens de s’inspirer des sportifs de haut niveau pour améliorer leurs performances [4]. Pour lui, la pratique mentale (notion très légèrement différente de l’image mentale mais embrassant le même concept) est l’action consciente d’imaginer systématiquement et à plusieurs reprises des objets et des mouvements sans les voir physiquement ni les exécuter avec l’intention d’améliorer la performance.
Pour qui, pour quoi, comment ?
Chez les chirurgiens, la pratique mentale peut s’utiliser à la fois pour le novice et pour l’expert [5]. Pour le novice, il est montré que la pratique de l’image mentale est un bon outil complémentaire de l’apprentissage des connaissances et des gestes. Par exemple, Sander et all [6] ont étudié les techniques de sutures chez 65 étudiants séparés en deux groupes, le premier s’entrainant uniquement au geste et l’autre associant pratique du geste et image mentale. Il était réalisé des exercices d’incisions et de sutures sur un lapin anesthésié dans un temps limité de 8 minutes. Les résultats étaient meilleurs pour le deuxième groupe. L’apprentissage des gestes chirurgicaux, comme le sport ou l’art à haut niveau, comprend en partie l’acquisition d’une l’habilité motrice en passant par une phase cognitive puis une phase d’exécution. L’optimisation de la phase cognitive par des techniques d’images mentales, en tâchant d’éliminer autant que possible les éventuels parasites intellectuels ou de l’environnement semble une voie pertinente non seulement intuitivement mais démontrée scientifiquement.
Chez les experts, plusieurs études ont été menées et ont permis de mettre en exergue qu’en pratique les chirurgiens utilisaient parfois sans s’en rendre compte des images mentales et le souvenir des sensations tactiles des opérations antérieures, associés à l’observation clinique et l’imagerie du patient qu’ils opéraient. Mcdonald et Orlick ont étudié les stratégies de préparation mentale et leur relation avec la performance en chirurgie à l’aide d’entretiens semi-structurés avec 33 chirurgiens dans six sous-spécialités chirurgicales. Ils ont constaté que les chirurgiens considéraient la préparation mentale comme la plus importante (49 %), suivie par la préparation du geste (41 %) et la préparation physique (10 %). Cette préparation mentale était composée de pensées positives (97 %) et d’images positives (79 %), c’est-à-dire imaginer un bon résultat avec un minimum de complications [7].
Gérer le stress
D’autres auteurs se sont intéressés à l’apport de l’image mentale dans la pratique de la chirurgie dentaire, notamment pour la gestion du stress. Une méta-analyse de 2017 de l’équipe de Nicholas E. Anton [8] propose d’évaluer cette technique par une recherche documentaire systématique sur la période 1996-2016. Le résultat de cette étude est que, comme pour les sportifs de haut niveau, la pratique de l’image mentale permet au chirurgien de se préparer mentalement avant son geste, d’identifier les complications éventuelles et les solutions et enfin de « préparer » les muscles qui seront mis en jeu lors de l’intervention car les mêmes voies neuronales sont excitées par la prévisualisation. Ces auteurs estiment également cette pratique bénéfique pour les stagiaires pour mieux comprendre les différentes étapes des protocoles et les réaliser eux-mêmes. D’ailleurs, d’autres travaux ont également démontré un effet positif de la pratique mentale dans la gestion du stress chez les chirurgiens débutants [9].
La chirurgie est un sport de haut niveau
Ainsi, de façon analogue à l’apprentissage d’un sport et à sa pratique de haut niveau, l’association de l’apprentissage du geste, de sa pratique physique et de l’image mentale permet au chirurgien, quel que soit son niveau d’expertise, d’améliorer ses interventions. Par extension, il peut en aller de même pour le chirurgien-dentiste. La pratique mentale peut également fournir un avantage psychologique important. Comme l’a découvert le monde du sport d’élite, il s’agit d’un excellent outil pour améliorer la confiance et soulager l’anxiété.
La préparation mentale de Michael Phelps
” Il imaginait le clapotis des vagues sur son corps, les gouttes perlant de ses lèvres lorsque celles-ci atteignaient l’air libre, la sensation d’enfin enlever son bonnet après l’arrivée. Il vivait tout cela, dans son lit, les yeux fermés, se projetant comme un film toute la compétition. Chaque détail, encore et encore jusqu’à la connaitre au bout des doigts “. Extrait de la biographie de Michael Phelps (traduction de l’auteur). (1)
Auteur
Dr Nicolas Lemonier
DU de chirurgie implantaire et pré-implantaire de St-Joseph
Ancien assistant hospitalo-universitaire
Praticien hospitalier, service de médecine bucco-dentaire, hôpital H. Mondor (Créteil)
Rubrique en partenariat avec le DU de chirurgie implantaire et préimplantaire de l’université de Paris.
Bibliographie
[1] Duhigg C. The Power of Habit. NY: Random House; 2012.
[2] Jacobsen E. Electrical measurement of neuromuscular states during mental activities. Am J Physiol.
[3] Jeannerod M, Decety J. Mental motor imagery: a window into the representational stages of action. Curr Opin Neurobiol 1995;5:727-32.
[4] What Surgeons can Learn From Athletes: Mental Practice in Sports and Surgery, Coks 2013.
[5] DesCoteaux JG, Leclere H. Learning surgical technical skills. Can J Surg. 1995;38(1):33-38.
[6] Sanders CW, Sadoski M, Bramson R, Wiprud R, Van Walsum K. Comparing the effects of physical practice and mental imagery rehearsal on learning basic surgical skills by medical students. Am J Obstet Gynecol. 2004;191(5):1811-1814.
[7] McDonald J, Orlick T, Letts M. Mental readiness in surgeons and its links to performance excellence in surgery. J Pediatr Orthop. 1995;15(5):691-697.
[8] Application of Mental Skills Training in Surgery: A Review of Its Effectiveness and Proposed Next Steps, Nicholas E. Anton, (2017).
[9] Arora S, Aggarwal R, Moran A, et al. Mental practice: effective stress management training for novice surgeons. J Am Coll Surg. 2011;212(2):265-27.