Premier fauteuil dentaire : peut-on acheter écologique ?

Ça y est, votre décision est prise : vous vous installez. Avec vos éventuels collaborateurs, vous avez même déjà trouvé vos locaux, conduit des travaux d’aménagement, etc. Reste à faire l’acquisition de votre matériel professionnel. Notamment de votre premier unit dentaire. Mais peut-être vous interrogez-vous : est-il possible de limiter l’impact environnemental de cet achat ?

De plus en plus de praticiens se préoccupent de l’impact de leur cabinet sur l’environnement. « Les jeunes, surtout, développent une sensibilité écologique », notamment depuis le Covid-19, observe Lucie Rouleau, administratrice du Comident et P.-D.G. d’Airel-Quetin, fabricant français de fauteuils dentaires. Une préoccupation écologique qui guiderait de plus en plus le choix des consommables. « Afin de limiter notre quantité de déchets, nous avons essayé, dans notre nouveau cabinet, de choisir du matériel réutilisable plutôt que jetable », témoigne le Dr Edouard Lequertier, chirurgien-dentiste qui vient de s’installer avec quelques confrères dans la région de Caen.

Cependant, pour les plus gros équipements comme les fauteuils dentaires, ces critères environnementaux semblent moins pris en compte. D’ailleurs, les fabricants d’units mettent peu en avant des éléments liés à l’écoresponsabilité. « (Aucune entreprise) ne nous a démarchés avec des critères écologiques », affirme le Dr Lequertier. « Au regard de ce que proposent nos concurrents, je ne ressens pas les questions environnementales comme très importantes aujourd’hui sur le marché (des fauteuils dentaires) », confirme Lucie Rouleau.

L’ergonomie privilégiée

En fait, d’autres critères semblent l’emporter sur les éléments écologiques. Dans le choix de l’unit, « l’aspect écologique n’est pas déterminant aux yeux de la plupart des praticiens », entrevoit le Dr Philippe Moock, fondateur d’ecopraticien.fr – service d’accompagnement en développement durable des cabinets dentaires.

Parmi ces éléments davantage déterminants compte l’ergonomie. « Les praticiens attendent d’abord de leur fauteuil qu’il soit ergonomique », explique le Dr Moock. Autrement dit, qu’il permette « d’adopter une position de travail confortable et de réduire sa gestuelle au strict nécessaire » afin d’éviter notamment les troubles musculo-squelettiques. Un message bien reçu par les fabricants. « Nous prêtons une attention particulière à l’ergonomie de nos fauteuils, comme globalement tous nos concurrents  », rapporte Lucie Rouleau. D’où une profusion de possibilités : « Fauteuils avec transthoracique à fouets, à cordons pendants, carts mobiles, etc. », énumère le Dr Moock. Une offre si vaste qu’en pratique, certains font le choix de rester dans un environnement familier. « Nous avons préféré un fauteuil que nous connaissions déjà », confesse le Dr Lequertier.

Autre critère mis en avant : l’esthétique. « La profession est très friande de design », remarque Lucie Rouleau. Et nombre de fabricants misent sur la couleur. « Alors qu’avant, les fauteuils étaient surtout bleus, beiges ou blancs, les propositions sont désormais bien plus nombreuses », constate le Dr Moock. « J’ai vu des fauteuils avec des teintes très flashy, des paillettes, voire des motifs – qui peuvent toutefois fausser les relevés de teinte », alerte le Dr Jean Barret, chirurgien-dentiste (région de Bordeaux) particulièrement engagé pour le développement durable.

Enfin, des considérations économiques entrent en compte. D’autant plus « pour un premier achat, et en sachant que les chirurgiens-dentistes sont les professionnels de santé qui doivent investir dans le plateau technique le plus onéreux », analyse Lucie Rouleau.

Quand écologie rime avec ergonomie, économie et esthétique

Toutefois, cette prétendue compétition entre critères écologiques d’une part et critères ergonomiques, esthétiques ou économiques d’autre part pourrait ne pas s’avérer si problématique : tous ces aspects n’entrent pas systématiquement en contradiction, loin de là. De fait, les critères ergonomiques mènent souvent à des choix plus écologiques. Car « un fauteuil ergonomique est un fauteuil épuré, autour duquel on peut se déplacer facilement », estime le Dr Barret. Or cette simplicité se solde par des économies de matériaux et d’énergie, le Dr Barret, par exemple, ayant choisi de se passer de crachoir mais aussi de nombre de dispositifs numériques intégrés. « On voit dans les catalogues et salons dentaires des fauteuils très high tech, avec des écrans plasmas, mais dans la plupart des cas, ces éléments électroniques non recyclables et coûteux en énergie n’augmentent pas l’ergonomie et tombent en panne. »

De même, les critères esthétiques peuvent conduire à supprimer le superflu. Car comme l’observe Lucie Rouleau, sont surtout appréciés les fauteuils « aux lignes épurées ».

Enfin, en matière d’achat de fauteuil, économie peut aisément rimer avec écologie : un choix économique consiste à préférer un unit à longue durée de vie – dont le prix initial et l’impact carbone se trouveront lissés dans le temps, explique le Dr Moock. « Si quelques praticiens achètent des fauteuils chinois à 9 000 euros, ceux-ci doivent être réparés ou remplacés fréquemment, ce qui n’est pas une bonne affaire ni écologiquement, ni économiquement », estime le Dr Moock. Ainsi, le Dr Lequertier a « fait le choix d’investir dans des fauteuils plus onéreux mais de qualité, afin de pouvoir les garder longtemps », dix à quinze ans.

Le choix de la durée de vie

Seules précautions à prendre afin d’allonger la durée de vie du fauteuil : « il faut se poser la question de la possibilité de reskaïage » en cas d’usure, préconise le Dr Moock. Plus important, « il faut s’assurer de la capacité d’évolution du fauteuil, en cas d’ajout de nouveau matériel, notamment numérique ». Et pour faire face à de potentiels mouvements au sein de l’équipe, une attention particulière doit être portée à la flexibilité du fauteuil. « Tous les praticiens ne se positionnent pas de manière identique, ce aussi en fonction de l’acte : certains se placent à midi, d’autres sur le côté ; il est souhaitable que la forme du fauteuil permette ces possibilités », indique le conseiller en développement durable. D’ailleurs, selon Lucie Rouleau, « les fauteuils ambidextres, où l’unit peut être placé dans n’importe quelle position, se développent beaucoup. »

Finalement, le véritable obstacle à la prise en compte de critères écologiques dans le choix de l’unit dentaire concerne une certaine opacité sur l’impact environnemental des fauteuils.

Par exemple, l’impact carbone lié aux matériaux utilisés apparaît difficile à connaître, faute d’études d’impact disponibles, déplore le Dr Barret. « Un fauteuil en inox – recyclable mais très coûteux en énergie lors de la fabrication – vaut-il mieux qu’un fauteuil en plastique moins compliqué à fabriquer mais non recyclable ? »

Dans le même esprit, alors que choisir un fauteuil en fonction du pays de fabrication – afin de réduire l’impact carbone du transport – semble écoresponsable, cette démarche ne se révèle pas si aisée. D’abord car l’offre s’avère limitée, Airel-Quetin et Meunier-Carus demeurant les seuls fabricants hexagonaux. Mais surtout car la plupart du temps, rien ne prouve que des fauteuils estampillés européens aient réellement été fabriqués de A à Z sur le vieux continent. « Certains fauteuils contiennent quelques pièces chinoises seulement assemblées en Europe », regrette le Dr Moock. De plus, certaines industries européennes restent fondées sur l’utilisation d’énergies peu propres – comme le charbon utilisé en Allemagne.

Lutter contre l’opacité ?

Enfin, alors que pour allonger la durée de vie du fauteuil, l’action essentielle, insiste le Dr Moock, est l’entretien – avec des règles « d’ailleurs pas toujours simples à suivre », reconnaît-il -, des questions liées à l’impact des désinfectants, produits d’entretien du simili cuir, etc. requis par la notice restent souvent en suspens. « Quelques marques de fauteuils ont un système de nettoyage et de désinfection automatiques du réseau interne des units, permettant de recourir à des produits moins toxiques ou en moindre quantité », indique toutefois le Dr Moock.

Finalement, pour réduire l’impact environnemental de l’entretien, le plus simple reste le choix de la société de maintenance du fauteuil. Car choisir des techniciens localisés près du cabinet permet de limiter les déplacements, et ainsi l’impact carbone des réparations, souligne le Dr Moock.

Si au total, du fait d’un défaut d’information sur l’impact environnemental des fauteuils et du manque d’engagement écologique de nombre de fabricants, la marge de manœuvre apparaît actuellement réduite pour les praticiens écologistes en quête d’unit, la profession a sans doute le pouvoir de faire bouger les lignes… en exprimant ses doléances. Car au fond, c’est bien la demande qui crée l’offre.

Le marché de l’occasion, encore peu développé

« La première chose à faire afin de limiter l’impact carbone d’un nouvel unit dentaire, c’est sans doute de ne pas acheter neuf », déclare le Dr Justin Oosthoek, orthodontiste particulièrement concerné par les enjeux de transition écologique. Pour lui, choisir un fauteuil reconditionné, c’est éviter les émissions liées à une nouvelle fabrication. Problème : pour les units dentaires, le marché de l’occasion demeure peu développé. « Il n’y a pas à ma connaissance d’entreprise comme BackMarket qui propose d’acheter facilement des fauteuils de seconde main après révision, avec garantie de bon état », déplore le Dr Oosthoek. Alors même que les achats d’occasion se développent avec d’autres dispositifs médicaux, et que nombre de fauteuils encore fonctionnels laissés par exemple par des praticiens retraités peuvent retrouver un « coup de jeune » après des réparations minimes. Cette fois, la compétition avec des critères esthétiques est possiblement en cause. Ainsi, le Dr Oosthoek rapporte des cas de renonciation à des achats d’occasion face à des équipements de seconde main dépareillés vis-à-vis du reste du cabinet. En outre, pour certains, l’achat neuf amènerait plus de « tranquillité d’esprit », un fauteuil ancien étant perçu comme associé à un plus haut risque de problèmes techniques.