La stratification par composite guidé, maquillé et injecté

Les restaurations composites directes dans le secteur antérieur constituent un traitement de choix dans l’arsenal thérapeutique du chirurgien-dentiste. Elles sont rapides à exécuter, faciles à mettre en œuvre et ne nécessitent que très peu de préparation des tissus dentaires [1]. Cependant, parvenir à une intégration parfaite de la forme et de la couleur, la plus proche possible des dents naturelles adjacentes ou controlatérales reste extrêmement difficile.

De nombreuses stratégies de stratification ont été décrites et présentent leurs avantages et inconvénients [2]. L’évolution des matériaux et l’apparition de nouvelles résines composites nano-chargées a considérablement modifié notre approche. Sur la base des techniques existantes [3, 4], nous avons développé et proposons une technique originale de stratification guidée, maquillée et injecté qui a pour objectifs de :

– sécuriser le montage des masses de composite,

– limiter le temps opératoire lors de la réalisation des composites,

– optimiser le résultat esthétique en personnalisant le résultat,

– être reproductible.

Au travers d’un rapport de cas, nous décrivons ci-après successivement toutes les étapes de la technique de composite guidé et injecté.

1) Consultation

Le patient âgé de 28 ans se présente à la consultation suite à une fracture amélo-dentinaire de 21. La perte de substance intéressant l’incisive centrale maxillaire, les conséquences esthétiques sont importantes. L’analyse esthétique est rapide. Elle met cependant en avant des difficultés majeures : un sourire gingival (Fig.1), un trait de fracture oblique avec rupture de la ligne de transition distale ainsi que la présence de caractéristiques internes spécifiques sur la dent controlatérale : zones bleutées et blanches (Fig.2). L’analyse fonctionnelle montre une occlusion serrée. L’angle à reconstruire sera travaillant en statique et en dynamique (Fig.3).

Aucun traitement d’orthodontie n’est envisagé. Le patient ne souhaite pas non plus voir modifier les caractéristiques internes naturellement présentes sur la dent controlatérale (bleuté, zones blanches).

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Fig.1 : Analyse initiale : le patient présente un sourire gingival. L’intégralité de la dent est visible lors du sourire. L’intégration esthétique de la restauration doit être totale.

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Fig.2 : Analyse initiale : le fond noir ou contrastor met en évidence les zones de translucidité qu’il faudra reproduire ainsi que des détails intensifs internes. La technique de stratification choisie doit permettre de reproduire ces détails pour une bonne intégration.

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Fig.3 : Analyse initiale : vue en contre-plongée. Le rétablissement de la fonction est essentiel. Le recouvrement est ici raisonnable. Le surplomb est faible mais les contacts occlusaux étroits. Une attention toute particulière doit être portée au rétablissement de l’occlusion sans nuire à l’esthétique.

Compte tenu de l’âge du patient et du volume de la perte de substance, le choix thérapeutique s’oriente vers une restauration en composite stratifiée en suivant le protocole guidé, maquillé et injecté. Pour préparer le guide et la clé d’injection au laboratoire, deux empreintes (maxillaire et mandibulaire) sont prises le jour de la consultation. Les empreintes peuvent être physiques ou numériques. Elles ne nécessitent pas de préparation préalable des surfaces dentaires.

2) Réalisation du guide et de la clé d’injection

Sur la base des éléments identifiés lors de la consultation, un wax-up est réalisé au laboratoire par le prothésiste (Fig.4).

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Fig.4 : Analyse initiale : une cire diagnostique ou wax-up physique est réalisée (laboratoire Jérome Adnin, Paris). Elle préfigure le résultat final en matière de forme et de volume. Les contacts occlusaux statiques et dynamiques peuvent être simulés au laboratoire. Les réglages occlusaux seront d’autant plus rapides lors de la séance clinique.

Il peut être physique ou numérique. Les deux technologies peuvent d’ailleurs se compléter en fonction des affinités et des habitudes de travail du technicien de laboratoire. Une fois le wax-up conçu, deux clés en silicone sont réalisées par-dessus.

La première clé constitue le guide de montage (Fig.5). C’est une clé en silicone rigide (Zetalabor, Zhermack ici). Elle s’appuie sur les faces palatines, occlusales et vestibulaires des dents adjacentes. Elle est découpée sur le fil du bord libre de l’incisive reconstituée et est totalement échancrée en vestibulaire. Cette clé transférera les informations fonctionnelles palatines, la position du bord libre, le contour distal de la restauration et guidera le montage du mur palatin (laboratoire J. Adnin, Paris).

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Fig.5 : La clé en silicone de guidage permet de sécuriser le montage du mur palatin dans l’enveloppe volumique définie par le wax-up. Le silicone utilisé est rigide. Laboratoire Jérome Adnin, Paris.

La seconde clé est la clé d’injection (Fig.6). Elle est réalisée sur le même modèle à l’aide d’un silicone transparent (Exclear, GC). Elle servira à l’injection de la couche la plus superficielle de résine composite injectable. Cette clé transférera les informations de forme vestibulaire, la position de la ligne de transition distale et la macro-texture de surface. Il est préférable de ne pas ajouter de cire dans la partie la plus cervicale de la dent afin d’éviter toute fusée de matériau composite lors de l’injection [5]. Par ailleurs la clé s’appuyant sur la partie gingivale, il est possible de gratter le plâtre d’un dixième de millimètre dans la zone du sulcus et sur la gencive. Cela permet de compenser la dépressibilité des tissus mous.

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Fig.6 : La seconde clé est une clé d’injection en silicone transparent. Elle recouvre l’intégralité de la surface dentaire. Elle permettra l’injection de résine composite nano-chargée en une fine couche de surface. Ses propriétés translucides autorisent la photopolymérisation au travers.

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Fig.7 : Choix de la couleur : différentes techniques ont été décrites pour le choix de la couleur. Le dépôt de masses de composite à même la dent en tout début de séance facilite la sélection des masses qui présentent les mêmes propriétés optiques que la dent.

3) L’isolation

La technique d’injection nécessite une surface maximale de stabilisation des clés en silicone sur les dents adjacentes. L’isolation à l’aide d’une digue unitaire ou sectorielle est possible mais peut compromettre l’insertion complète de la clé. Ainsi, il est souvent recommandé d’isoler de manière conventionnelle ou avec une digue ouverte dans la région concernée. Une mauvaise installation de la clé pourrait avoir des conséquences plus délétères que l’absence d’isolation.

Par ailleurs la clé elle-même constitue une barrière lors des procédures adhésives. Il est possible de la mettre en place après l’étape de mordancage/rincage. Elle fait alors office de barrière et protège la zone de travail du contact avec la langue, ou la salive. Ici, l’angle à reconstituer est assez coronaire et à distance du sulcus et donc du fluide gingival. L’isolation stricte a été jugée dispensable.

4) Préparation

Les surfaces dentaires ne nécessitent pas de préparation autre que celle nécessaire au protocole adhésif : sablage et mordançage. Un léger biseau amélaire peut être entamé à l’aide d’une fraise diamantée afin d’étendre la zone de recouvrement et d’obtenir un masquage plus important du joint collé.

En l’absence d’isolation par une digue unitaire, certains artifices devront être mis en place pour protéger les tissus environnants :

– une bande matrice métallique est disposée entre les dents pour protéger les faces proximales du sablage mais également de l’action du gel de mordançage (Fig.8),

– des bandelettes de téflon, agent antiadhésif, extrêmement fines (PTFE 0,075 mm d’épaisseur) peuvent être disposées pour protéger les dents adjacentes du système adhésif,

– la clé de guidage en silicone peut être utilisée en l’insérant partiellement pour protéger les surfaces de l’humidité de la cavité buccale et de la langue.

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Fig.8 : Préparation : au cours des procédures de sablage (particules fines d’oxyde d’alumine à 50 microns) et de mordançage, une matrice métallique est disposée en U pour protéger les dents adjacentes de toute agression physique ou chimique.

Le protocole adhésif est déroulé selon les instructions du fabricant sur la, ou les dents concernées.

5) Stratification guidée

La clé en silicone est installée à fond. Un mur palatin en composite est disposé et photopolymérisé. Les couches successives sont stratifiées en respectant des couches d’épaisseur homogène et en prêtant attention à une bonne cohésion des couches successives (Fig.9).

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Fig.9 : Les masses de composite dentine sont disposées dans la clé en silicone rigide. Le mur palatin et les masses suivantes sont stratifiées dans la clé palatine. Le montage est totalement guidé.

Dans la technique proposée, l’ensemble de ces masses sont stratifiées avec un seul et même composite dentinaire (Essentia MD, GC ici). Les propriétés recherchées de ces couches sont d’être suffisamment opaques et de présenter la bonne luminosité. À ce stade, il n’est pas recherché d’effet de transparence. Le guidage permet de sécuriser l’enveloppe volumique dans laquelle sont montées ces masses [6]. Il en résulte un gain de temps considérable.

6) Maquillage

Pour compenser l’absence de stratification interne dont le résultat est aléatoire et difficilement prédictible, un maquillage avec des résines composites est proposé. Ces maquillants (Optiglaze Color, GC) existent dans de nombreuses déclinaisons. Ils sont disposés au pinceau ou avec des instruments fins et sont photopolymérisables (Fig.10a et b).

Ils reproduisent les effets dynamiques internes propres aux dents naturelles. Ici, un halo bleuté mime par exemple l’effet de translucidité présent sur l’angle distal de 11. Les effets peuvent être nombreux grâce à la large palette de colorants existants (plus de quinze références de couleurs différentes sur le système utilisé). Le résultat optique de la restauration peut alors être extrêmement personnalisé.

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Fig.10a et b : Des maquillants aux couleurs intenses sont appliqués juste avant l’injection de la dernière couche de surface pour mimer les caractéristiques internes de la dent. C’est exactement le même concept qui est utilisé par les prothésistes dans la réalisation de stratification de la céramique.

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Fig.10b.

7) Injection

L’injection de composite ne va concerner que la couche la plus superficielle de la restauration, on peut parler de « couche émail ». C’est cette couche qui comprend les informations de forme et de texture de surface présentes sur le wax-up. Dans un premier temps, le mur lingual et le corps de la dent ont été montés conventionnellement. Une clé de montage linguale en silicone permet de guider cette étape préliminaire et de s’inscrire dans le volume final de la restauration. Lorsqu’il ne reste plus qu’une épaisseur homogène correspondant à la « couche émail », alors l’injection de composite (G-aenial Universel Injectable, GC en teinte A1 ici) peut avoir lieu (Fig.11).

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Fig.11 : La clé d’injection est mise en place. Le composite injectable nano-chargé est injecté lentement et photopolymérisé avec la clé en place.

La clé de silicone est mise en place sur les dents. Le composite injecté en un seul incrément est photopolymérisé. Après photopolymérisation, la clé est retirée. L’ensemble des informations de forme ont été transposées, il en résulte un gain de temps considérable ainsi qu’une grande prédictibilité d’obtention de la forme adaptée.

8) Polissage

Comme pour tout protocole adhésif, la résine injectée nécessite d’être polie. Après retrait de la clé en silicone transparent, les éventuels excès cervicaux et la tige d’injection sont éliminés (Fig.12).

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Fig.12 : Après le retrait de la clé d’injection, la tige d’injection peut persister. L’auteur recommande de ne pas fracturer cette tige au risque d’entraîner une perte de substance plus importante que celle souhaitée. Il convient donc de la polir et de l’éliminer par abrasion.

Le polissage interproximal est réalisé à l’aides de bandes abrasives diamantées de granulométries décroissantes (New Metal Strips, GC). Le brillantage est obtenu à l’aide d’une série de deux polissoirs rose puis gris (Twist polishing kit 9769 M & F, Meisinger) utilisés à basse vitesse avec une pression ferme. Enfin l’occlusion est ajustée (Fig.13 et 14).

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Fig.13 : L’occlusion est contrôlée en statique et en dynamique. Les réglages occlusaux sont peu nombreux avec la technique de composites guidés et injectés.

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Fig.14 : Résultat immédiat. La morphologie globale de la dent a été obtenue aisément grâce à la technique guidée et injectée. Le fond noir met en évidence les caractéristiques internes des dents.

Les retouches sont en général peu nombreuses car l’occlusion a pu être analysée au laboratoire. La clé de guidage permet un transfert fidèle de ces informations (Fig.15, 16 et 17).

Une séance différée peut être nécessaire pour contrôler et/ou parfaire la restauration composite.

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Fig.15 : Résultat deux mois plus tard : la réhydratation des tissus dentaires adjacents et de la restauration est complète. L’intégration de la restauration est réussie.

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Fig.16 : Résultat deux mois plus tard : une vue défilée met en évidence la qualité de la continuité entre restauration et émail naturel.

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Fig.17 : Résultat deux mois plus tard : le polissage des résines injectables nano-chargées est obtenu rapidement.

Conclusions 

Il est désormais possible à l’aide d’une clé en silicone transparent d’injecter une résine composite et de photopolymériser au travers de la clé. Le travail réalisé au laboratoire sur les formes, la position des lignes de transitions et la micro-texture peuvent alors être transférées directement en bouche. Le gain de temps en clinique est considérable et n’abaisse pas les qualités de la restauration. Au contraire, il confère au praticien plus de temps pour se concentrer sur des paramètres majeurs : le choix de la teinte et la reproduction des caractérisations et effets internes et le polissage. L’expérience du patient est améliorée, le résultat optimal (Fig.18, 19 et 20). Cette technique est rendue possible grâce à des résines composites nano-chargées relativement récentes. Le recul clinique sur cette technique est encore limité et une analyse à long terme s’avère indispensable [7] mais les premiers contrôles à 3 ans laissent présager de bons résultats sur le long terme.

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Fig.18 : Résultat deux mois plus tard : vue latérale.

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Fig.19 : Résultat deux mois plus tard : vue latérale.

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Fig.20 : Résultat deux mois plus tard : l’intégration à distance sociale est totale. Les effets générés par les maquillants augmentent le réalisme.

 

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt.

 

Auteur

Dr Marin Pomperski

 

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Chirurgien-dentiste diplômé de la faculté de Paris V

Pratique libérale, Paris

Æ Formations : www.ae-paris.fr

drpomperski@gmail.com

 

Bibliographie

[1] Vanini L. Conservative Composite Restorations that Mimic Nature. J Cosmet Dent. 2010;26(3):81-101.

[2] Jordi Manauta / Anna Salat / Walter Devoto / Angelo Putignano Layers 2 Direct Composites: The Styleitaliano Clinical Secrets. 1st Edition 2022.

[3] Dietschi D, Ardu S, Krejci I. A new shading concept based on natural tooth color applied to direct composite restorations. Quintessence Int. 2006 Feb;37(2):91-102. PMID: 16475370.

[4] Dietschi D. Layering concepts in anterior composite restorations. J Adhes Dent. 2001 Spring;3(1):71-80. PMID: 11317387.

[5] Gurrea J, Bruguera A. Wax-up and mock-up. A guide for anterior periodontal and restorative treatments. Int J Esthet Dent. 2014 Summer;9(2):146-62. PMID: 24765624.

[6] Pontons-Melo JC, Atzeri G, Collares FM, Hirata R. Cosmetic recontouring for achieving anterior esthetics. Int J Esthet Dent. 2019;14(2):134-146. PMID: 31061994.

[7] Lempel E, Lovász BV, Meszarics R, Jeges S, Tóth Á, Szalma J. Direct resin composite restorations for fractured maxillary teeth and diastema closure: A 7 years retrospective evaluation of survival and influencing factors. Dent Mater. 2017 Apr;33(4):467-476. doi: 10.1016/j.dental.2017.02.001. Epub 2017 Feb 28. PMID: 28256273.