Vers une médecine dentaire du sport

Bouger, c’est bon pour la santé. C’est ce que ne cessent de répéter diverses agences sanitaires tandis qu’à la veille des Jeux olympiques (JO) de Paris 2024, la sédentarité et l’inactivité physique continuent de compter parmi les facteurs de risque les plus répandus de divers fléaux (maladies cardiovasculaires, pathologies métaboliques telles que l’obésité ou le diabète, cancers).

L’activité sportive occasionnant divers troubles et blessures, la médecine du sport s’est largement développée depuis sa création au milieu du XXe siècle, autorisant une meilleure prise en charge de divers traumatismes, entre autres, récemment, des commotions cérébrales fréquentes dans certaines disciplines. Un organe des athlètes semble toutefois avoir été longtemps oublié : la bouche. Encore aujourd’hui, déplore le Dr Christophe Lequart, porte-parole national de l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD), la prise en charge bucco-dentaire des patients sportifs demeure peu enseignée dans la formation initiale des chirurgiens-dentistes.

Heureusement, la donne commence à changer. En témoigne l’ouverture de quelques consultations de médecine dentaire du sport, à l’instar de celle du Dr Jean-Luc Dartevelle, chirurgien-dentiste dans le Bas-Rhin et à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). Ou de celle du CHU de Toulouse, créée par le Pr Vincent Blasco, chirurgien-dentiste chercheur et arbitre de rugby en première division.

De plus, des formations à la médecine dentaire du sport se constituent, tel le diplôme universitaire (DU) du CHU de Toulouse. Et pour toucher davantage de chirurgiens-dentistes, sportifs et coachs, l’UFSBD diffuse des fiches pratiques dédiées à la santé orale des patients sportifs.

Le changement atteint même certaines institutions sportives. Par exemple, l’Insep propose au sein de son centre de santé une consultation dentaire. Dans le même esprit, « certains clubs professionnels de football salarient désormais des chirurgiens-dentistes  », rapporte le Pr Blasco. Et selon le Comité olympique international (CIO), « un dentiste expérimenté (…) sera sur place lors des Jeux olympiques de Paris 2024 pour accompagner les athlètes et agir en faveur d’une santé bucco-dentaire optimale  ». Et pour cause : depuis le début des années 2000, et plus encore depuis les années 2010, des impacts néfastes du sport sur la santé bucco-dentaire sont mis en évidence.

Susceptibilité élevée aux caries et parodontopathies

À commencer par une susceptibilité élevée aux caries et parodontopathies, désormais bien démontrée – notamment par « une étude conduite lors des Jeux Olympiques de Londres auprès des membres de l’équipe britannique reçus au village olympique  », cite le Pr Blasco. Une problématique qui, d’après le Dr Julien Louis, nutritionniste du sport à l’université John Moores de Liverpool, toucherait tout particulièrement les adeptes de sports d’endurance, mais pas seulement. « Nous avons retrouvé le même surrisque de caries et de parodontites à Toulouse parmi nos patients sportifs, et avons mis en évidence une signature bactérienne orale spécifique y compris chez les rugbymen professionnels  », détaille le Pr Blasco.

À l’origine de ces dysbioses buccales, caries et parodontites, se trouve l’alimentation. « Les sportifs mangent beaucoup, souvent plus de sucres, notamment rapides  », constate le Dr Louis. Or, rappelle le Dr Lequart, ces nutriments sont bien connus pour stimuler une production bactérienne locale d’acides susceptibles de déminéraliser l’émail des dents.

Et les aliments sucrés choisis par les sportifs apparaissent particulièrement délétères. Comme les bananes, par exemple très appréciées des tennismen, « non seulement très sucrées mais aussi très collantes, adhérentes aux surfaces dentaires, et ainsi très cariogènes  », note le Dr Lequart. Les boissons énergétiques sont aussi incriminées. « Certaines boissons de récupération sont non seulement très sucrées, mais aussi acides, potentialisant la déminéralisation de l’émail », déplore le chirurgien-dentiste. Le Dr Louis pointe également, au-delà des aliments sucrés, la consommation de viandes rouges, source d’acides alimentaires.

Le rythme de prises alimentaires des sportifs n’arrange rien. « Les athlètes de haut niveau multiplient les collations, jusqu’à, souvent, cinq à six prises alimentaires par jour », estime le Dr Louis. De quoi empêcher la salive de jouer son rôle de tampon et de reminéralisation de la surface des dents. « Ces actions de la salive se font lentement, plus lentement que les grignotages des sportifs », insiste le Dr Lequart.

Quel accès aux soins dentaires pendant les Jeux olympiques ?

L’accès aux soins dentaires sera-t-il suffisant à Paris pendant les Jeux olympiques (JO) ? Telle est la question que soulèvent certains praticiens, à l’instar du Dr Fabienne Robichon, chirurgien-dentiste à Paris et présidente de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) des chirurgiens-dentistes d’Île-de-France.

L’événement devrait drainer 15 millions de visiteurs, et, on peut le supposer, un certain nombre d’urgences dentaires. ” Les soins en France étant réputés moins onéreux que dans nombre de pays, des touristes étrangers pourraient profiter de leur présence à Paris pour demander certains traitements “, estime le Dr Robichon.

Or, les JO se tiendront pendant les vacances d’été, période au cours de laquelle 80 % des chirurgiens-dentistes quittent habituellement la ville, faute de patients, ou du fait des congés.

De plus, des cabinets pourraient se révéler difficilement accessibles du fait des restrictions de circulation prévues à proximité d’installations sportives. Si bien que l’URPS des chirurgiens-dentistes a proposé de longue date une organisation permettant de prendre en charge des urgences dentaires dans le secteur libéral. ” Nous avons par exemple pensé à étendre les gardes de week-end aux autres jours de la semaine pendant la période des JO  “, rapporte le Dr Robichon. Cependant, leurs propositions n’ont pas été retenues, faute à la fois de ressources et d’anticipation de la part des autorités sanitaires. Selon le Dr Robichon, ” l’ARS semble avoir commencé à se pencher sur le problème
en décembre “, et aurait indiqué ne pas disposer du ” budget ” nécessaire pour impliquer les libéraux pendant l’été.

La principale mesure prise pour le moment concerne des réquisitions au service des urgences dentaires de la Pitié-Salpêtrière, potentiellement sous-dimensionnées malgré ce personnel supplémentaire.

Quoi qu’il en soit, pour parer à cette éventualité et à défaut d’autres possibilités, les URPS des chirurgiens-dentistes et des pharmaciens d’Île-de-France distribuent conjointement aux officinaux des fiches pratiques visant à favoriser la bonne orientation des patients se présentant au comptoir avec une rage de dent, une fracture dentaire, etc.

Conseils hygiéno-diététiques

D’autres phénomènes accroissent encore ce potentiel cariogène. Ainsi, le Pr Blasco évoque une diminution de l’immunité pouvant survenir dans les 24 à 48 heures suivant un effort physique particulièrement intense. De plus, « certains sports tels que la course à pied peuvent favoriser une sécheresse buccale, qui peut elle-même favoriser la dysbiose orale ».

Aussi, un élément clé de la médecine dentaire du sport concerne le traitement et la prévention des caries, qui passe par des conseils d’hygiène (à répéter, notamment en période d’entraînement intense et de compétition, où le stress et la fatigue font rapidement oublier la brosse à dents, suggère le Dr Dartevelle) mais aussi nutritionnels. Dans ce cadre, l’Insep propose sur son site internet des recettes de boissons de récupération peu agressives pour les dents. Julien Louis recommande aussi de boire ces produits sucrés avec une paille.

Mais les sportifs ne sont pas concernés uniquement par ces problématiques infectieuses : citons aussi des traumatismes dentaires. « Si les sports de contact comme le rugby ou les sports de combat sont bien connus pour occasionner des traumatismes, des fractures dentaires peuvent aussi survenir dans d’autres disciplines comme le handball ou le basket, où les contacts brefs mais potentiellement intenses sont fréquents », remarque le Dr Dartevelle.

Ces traumatismes dentaires apparaissent néanmoins théoriquement faciles à prévenir. Et ce, au moyen de protège-dents, plus performants qu’auparavant. « Certains protège-dents que nous pouvons réaliser sur mesure au cabinet permettent désormais de respirer la bouche fermée et de parler, favorisant leur port dans des sports d’équipe », avance le Dr Dartevelle. Toutefois, au-delà des sports de combat et du rugby où le protège-dent, obligatoire, est désormais bien accepté, ce type de dispositifs demeure globalement insuffisamment adopté.

Médecine dentaire du sport

Lutter contre l’usure

Parmi les autres troubles bucco-dentaires induits par le sport et fréquents parmi les athlètes comptent l’érosion et l’usure dentaires. Certains sportifs se révèlent particulièrement concernés, comme les pratiquants de disciplines aquatiques. « L’acidité des piscines, liée à la présence de chlore, ajoute au risque de dissolution de l’émail, d’où une sensibilité très fréquente au chaud et au froid parmi les nageurs  », indique le Dr Lequart. Et en eau de mer, le Dr Lequart évoque une usure dentaire fréquente chez les plongeurs, liée à un matériel inadapté – et plus précisément aux embouts de tubas et bouteilles d’oxygène n’épousant pas la forme des arcades dentaires. Un problème que quelques chirurgiens-dentistes spécialisés proposent de contourner par du matériel sur mesure.

Cette usure dentaire concerne encore bien d’autres sportifs, toutes disciplines confondues, du fait du bruxisme favorisé par l’activité sportive. « Nombre de photos de sportifs montrent de grands athlètes – des haltérophiles aux golfeurs, en passant par des gymnastes – serrant les mâchoires », observe le Dr Balsco, qui explique ce réflexe par la présence dans la bouche de capteurs posturaux permettant au tronc cérébral d’ajuster le tonus musculaire. Des gouttières protectrices ou de désocclusion peuvent être utilisées pour épargner les dents. Ces dispositifs permettraient même de corriger des défauts de posture d’origine orale, et ainsi certains gestes affectés par ces déséquilibres. Ainsi, le Dr Lequart décrit le cas d’une professionnelle de l’aviron qui a constaté que le port d’une gouttière de désocclusion pendant l’effort l’aidait à ramer avec la même force à gauche et à droite. Le Pr Blasco évoque de surcroît une étude en voie de publication conduite auprès de trente crossfitters suggérant un effet positif des gouttières de désocclusion sur la force musculaire déployée.

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© Getty Images – microgen.

Sportifs de haut niveau : peu de renoncements aux soins dentaires

Loin des quelques stars du football que les clubs s’échangent pour des dizaines de millions d’euros, nombre de sportifs font face à des difficultés économiques, ne serait-ce que pour financer leur entraînement ou leur participation à certaines compétitions. En témoigne la multiplication des cagnottes lancées en ligne depuis quelques mois. Ainsi, on pourrait s’attendre à ce qu’un nombre important de sportifs se détournent des traitements dentaires, réputés relativement onéreux. Toutefois, le Dr Dartevelle, praticien à l’Insep, n’observe globalement pas de renoncements aux soins parmi ses patients sportifs.

Favoriser une bonne occlusion dentaire

Si le Dr Dartevelle insiste sur la nécessité de rester mesuré – de ne pas promettre aux sportifs des améliorations de leurs performances grâce à une prise en charge dentaire – il est certain que le traitement des affections bucco-dentaires permet au moins d’éviter l’altération des capacités physiques, et in fine des résultats sportifs. Car l’interaction entre sport et santé bucco-dentaire est bidirectionnelle : la santé bucco-dentaire peut aussi impacter les performances sportives.

En particulier, les caries, gingivites et parodontites pourraient contribuer à la persistance, voire à l’aggravation de tendinites préexistantes, du fait d’un passage de bactéries dans la circulation générale entretenant une inflammation. D’où, là encore, la nécessité de dépister et traiter ces troubles.

Autre exemple de troubles bucco-dentaires susceptibles d’affecter de façon chronique les performances : des malocclusions et malpositions dentaires, à corriger par une prise en charge orthodontique. De fait, des malocclusions peuvent non seulement favoriser des déséquilibres posturaux, mais aussi gêner la respiration par le nez et l’oxygénation du sang pendant l’effort, et perturber le sommeil (notamment en favorisant des apnées) et ainsi la récupération.

Les militaires, des sportifs comme les autres ?

Il existe une population parmi laquelle la pratique du sport apparaît fréquente et particulièrement soutenue : les militaires. Mais ce groupe particulier est-il soumis aux mêmes risques bucco-dentaires que les autres sportifs ?

Le chirurgien-dentiste chef des services de classe normale, coordonnateur national pour l’odontologie dans les armées, intégré au Service de santé des armées, distingue deux catégories de militaires ayant une activité physique de haut niveau : la première, minoritaire, concerne des sportifs de haut niveau hébergés par l’armée, et la seconde, majoritaire, concerne des individus qui s’entraînent – pour certains, plus de trois heures par jour – pour des besoins opérationnels.

Dans le premier groupe comme dans l’autre, à discipline sportive, temps et intensité d’entraînement égaux, les militaires sont exposés aux mêmes risques de troubles bucco-dentaires que les civils. Cependant, les militaires qui partent en opération sont soumis à des risques supplémentaires – non liés au sport, mais à des ” conditions d’hygiène et de vie qui ne sont pas les mêmes qu’en métropole  “, indique le chirurgien-dentiste militaire. Or, souligne-t-il, l’enjeu de maintenir une santé bucco-dentaire optimale ne concerne pas les performances sportives, mais plutôt le fait d’être prêt à s’engager à tout moment.

Éviter à tout prix les urgences

Enfin, parce que des problèmes dentaires intercurrents, aigus, peuvent survenir pendant tout événement sportif et empêcher les athlètes de se concentrer sur leur effort, voire de concourir, le suivi des sportifs professionnels peut être plus interventionniste qu’en population générale. Par exemple, le Dr Lequart décrit le cas d’un « volleyeur qui n’a pu participer aux championnats d’Europe du fait de douleurs dentaires liées à ses dents de sagesse survenues sur le lieu de la compétition », évoquant l’intérêt d’une ablation systématique, préventive, des dents de sagesse chez les jeunes sportifs de haut niveau.

Au final, la médecine bucco-dentaire du sport semble avoir de beaux jours devant elle. Ce qui constitue à la fois un défi et une potentielle source de stimulation et d’épanouissement pour les chirurgiens-dentistes. Car d’un point de vue médical et technologique, « beaucoup d’améliorations restent à élaborer, comme une consultation davantage rationalisée et scientifique, et peut-être, dans le futur, la possibilité de monitorer les sportifs en temps réel au moyen de protège-dents connectés  », prévoit le Pr Blasco. Ce suivi bucco-dentaire peut ouvrir sur une relation praticien-patient privilégiée. « S’il faut savoir se montrer très joignable et disponible pour gagner la confiance des sportifs, ceux-ci le rendent bien  », juge le Dr Dartevelle, qui confie avoir développé des amitiés parmi ses patients sportifs. Tous les chirurgiens-dentistes interrogés soulignent que la médecine bucco-dentaire du sport ne doit pas être réservée qu’aux sportifs de haut niveau : la profession doit aussi se pencher sur la bouche des amateurs. Ainsi, le Dr Dartevelle incite à questionner systématiquement les patients sur leur activité physique. « En cas d’entraînements plus de trois à quatre fois par semaine, on peut considérer qu’il existe aussi des risques liés à l’alimentation, aux chocs, etc. », précise le Pr Blasco. La conduite à tenir est alors la même en termes de prévention des caries et des traumatismes dentaires. Concernant des équipements tels que des protège-dents, le sur-mesure peut s’avérer trop onéreux – surtout comparé aux besoins des patients, en particulier adolescents, en croissance. « On peut aider les patients à adapter des protège-dents moulés par la chaleur (système boil and bite), achetés en grandes surfaces  », invite le Dr Dartevelle.

Des risques dentaires associés au dopage sportif ?

Dents qui poussent, se tordent, se déchaussent : tels seraient les signes qui permettraient de reconnaître les sportifs dopés, notamment à l’hormone de croissance. Du moins, selon la rumeur qui semble avoir couru dans les médias jusqu’au début des années 2010. Mais qu’en est-il des risques réellement associés aux pratiques actuelles de dopage – globalement connu pour ses effets délétères sur la santé générale, en particulier en cas d’exposition à long terme à certains produits ?

Comme le rappelle Tiia Kuuranne, directrice du Laboratoire d’analyse du dopage de Lausanne (Suisse), où siège le Comité olympique international (CIO), ” la plupart des substances interdites (dans les compétitions sportives du fait d’un risque de dopage) sont des médicaments utilisés dans le cadre de pratiques cliniques ; par conséquent, les effets secondaires potentiels sont les mêmes que dans le cadre d’une utilisation médicale, bien que les risques soient plus importants lorsque les doses sont élevées  “. La pharmacienne évoque ainsi les glucocorticoïdes inhalés, associés à un risque de candidose.

Or, à l’heure actuelle, les médicaments les plus fréquemment détournés à des fins de dopage demeurent les anabolisants, les SARMs (selective androgen receptor modulator) tels que l’ostarine ou le ligandrol, ou encore les diurétiques, énumère le Pr Pascal Kintz, toxicologue à l’Institut de médecine légale de Strasbourg. Soit des produits qui ” ne sont pas connus pour avoir un impact sur la sphère orale  “.

En fait, en matière de dopage, le principal problème pour les chirurgiens-dentistes concerne l’interdiction dans les compétitions sportives de médicaments indiqués dans les soins dentaires – à l’instar des analgésiques forts -, à éviter en période de compétition chez ” les sportifs d’élite “, ou du moins à prescrire après discussion avec l’athlète, suggère Tiia Kuuranne.

Évoquons néanmoins parmi les sportifs un engouement récent non pour des médicaments, mais pour le tabac à chiquer (snus) – autrefois très populaire parmi les amateurs de sports de glace, et qui pourrait revenir en force chez les jeunes skieurs, patineurs, etc. et chez les footballeurs. Et pour cause : il y a quelques années déjà, des stars du foot très suivies sur les réseaux sociaux s’étaient affichées boîtes de snus à la main. Or, ”  il existe une corrélation entre les cancers buccaux et la consommation de tabac sans fumée (…). En Suisse, une étude menée conjointement en 2016 par l’université de médecine dentaire et la clinique de parodontologie de Berne [a mis] en évidence une corrélation directe entre la consommation de snus et l’installation de lésions orales de type leucoplasies et de lésions parodontales de type récessions gingivales  “, alerte le Syndicat des Femmes Chirurgiens-Dentistes.

 

Pr David Le Breton : ” Une crispation virile préférée au sourire  “

Pr David Le Breton

Le Pr David Le Breton est l’auteur de l’essai :
Sourire, une anthropologie de l’énigmatique (éditions Métailié).

Sociologue et anthropologue à l’université de Strasbourg, le Pr David Le Breton dissèque la place du sourire dans l’iconographie du sportif.

Les photos de sportifs représentent-elles majoritairement des athlètes souriants ?

Pr David Le Breton : Je dirais que cela dépend des sports. Alors qu’on voit encore nombre de sourires parmi les professionnels de l’athlétisme, d’autres disciplines semblent avoir perdu une partie de la joie qui s’affichait sur les visages il y a encore 20 à 30 ans, à l’instar du cyclisme, où les clichés de sportifs concentrés sont davantage mis en avant. Citons aussi les sports de combat, où une forme de crispation virile semble préférée au sourire : la présence ou non de sourires dans le sport pourrait continuer de dépendre de stéréotypes de genre. Ainsi, les sportives apparaissent souvent plus enthousiastes : pour les jeunes femmes, le bonheur de la victoire semble encore devoir être signifié par un grand sourire. Et finalement, il semble y avoir beaucoup plus de sourire et de plaisir dans le sport amateur que dans le sport professionnel.

Quand ils sourient, les sportifs professionnels très médiatisés exhibent tous ou presque des dents parfaites, blanches, bien alignées…

Un lissage des sourires semble s’être opéré : on voit sans doute moins ces visages tourmentés, abîmés, qui paraissaient avoir lutté passionnément pour la victoire. D’abord parce que les soins dentaires et les techniques de blanchiment se sont démocratisées parmi les sportifs comme dans le reste de la population. Puis, l’exigence de montrer des dents impeccables pèse sans doute de façon particulièrement importante sur les sportifs dans la mesure où on attend d’eux qu’ils soient impeccables sous tout rapport, qu’ils incarnent un modèle d’énergie, de santé, de beauté, de réussite sociale. Et les sportifs ont tout intérêt à ne pas décevoir dans la mesure où il existe pour eux un fort enjeu de communication, de publicité.

Comment cet enjeu de communication impacte-t-il l’apparence des sportifs au-delà de leur sourire ?

Dans notre société très individualisée, centrée sur l’image, le corps est devenu – y compris dans le grand public – un élément essentiel de la fabrique du soi : il faut le façonner pour contrôler son existence, et ” sortir du lot “. Or, chez les sportifs, du fait de ces enjeux de communication, la fabrication, l’esthétisation du corps est exacerbée : le corps devient une sorte de logo, qui doit immédiatement sauter aux yeux. D’où les coiffures spectaculaires des footballeurs, ou les tatouages impressionnants des nageurs.