Interview du Dr Caroline Gorin, chercheuse - « Un jour on parviendra à revasculariser une dent de l’intérieur »
Les cellules souches de la pulpe dentaire promettent des avancées médicales selon la chercheuse Caroline Gorin.
Les cellules souches de la pulpe dentaire ont un grand pouvoir réparateur. Comment ce tissu non minéralisé procède-t-il pour réparer un tissu minéralisé : la dent ou l’os ?
Dr Caroline Gorin : Les cellules qui sont à l’intérieur de la dent sont en fait un pool de progéniteurs. Chaque cellule a un grand potentiel de différenciation, selon les conditions de culture qu’on lui applique. Elles peuvent donner entre autres des ostéoblastes et sont donc capable de faire de l’os. Ces cellules, que l’on peut qualifier de multipotentes, ont un potentiel de différenciation très varié.
Qu’est-ce qui stimule les cellules souches ?
Dr C. Gorin : Les cellules à proximité vont libérer des facteurs de croissance qui leur donnent un stimulus : elles vont alors se différencier en os, si elles sont dans un environnement osseux, ou dans une matrice compressée comme c’est le cas dans notre laboratoire. La compression crée une matrice ostéoïde ressemblant à de l’os mais non encore minéralisé.
La cellule, qui se sent comme dans un environnement osseux, va se différencier en ostéoblaste. Par contre, si on la met par exemple dans un environnement avec des cellules endothéliales il va y avoir un dialogue entre les deux et la cellule pulpaire est capable d’être recrutée et de maturer les vaisseaux. C’est une cellule qui peut faire beaucoup de choses : des équipes ont montré qu’elle peut se différencier en cellules du système nerveux. L’origine embryologique de cette cellule est celle des crêtes neurales : toute la sphère oro-faciale pourrait potentiellement être réparée par ces cellules.
Vous avez mis au point la culture d’un tissu de reconstruction à base de cellules souches pulpaires ensemencées dans du collagène. Ce tissu est-il encore en phase d’étude et d’amélioration ?
Dr C. Gorin : Le modèle de matrice compressée, validé entre autres par notre équipe, fonctionne très bien dans nos approches actuelles sur la souris au niveau du crâne. Mais si on veut refaire de l’os, il faut générer de la vascularisation à l’intérieur de l’os oro-facial. C’est le défi que l’on essaye de relever actuellement : faire des matrices compressées avec des vaisseaux à l’intérieur pour avoir un os complètement vascularisé. Ce tissu est souple, or si on veut reconstruire une mandibule dans le cas d’un cancer par exemple, il faut un support extérieur. Il faudrait mettre nos matrices dans une coque et nos cellules à l’intérieur. Nous recherchons un matériau biocompatible, ostéoinducteur, ostéoconducteur et mécaniquement fiable pour supporter toutes les contraintes des os de la face.
On ne peut donc pour l’heure penser à des applications thérapeutiques ?
Dr C. Gorin : Pas pour des cancers de la face. S’il s’agit de reconstruire de gros défauts osseux, nos matrices ne peuvent le faire à l’heure actuelle. Par contre, pour un comblement osseux alvéolaire, on peut imaginer obtenir de très bons résultats parce que l’on a des parois : on ferme l’alvéole, la matrice est à l’intérieur et il n’y a pas de problèmes.
Concernant le matériau biocompatible sur des reconstructions de grande ampleur, quel serait celui qui conviendrait le mieux ?
Dr C. Gorin : Le peek est beaucoup utilisé en orthopédie, il est également employé en implantologie. C’est un matériau qui peut être prometteur mais rien n’est encore testé. Nous avons pour objectif d’étudier des biomatériaux existants afin de sélectionner les meilleurs candidats. Nous devons en effet étudier de quelle manière ils sont usinables… et créer un modèle de défaut osseux chez l’animal pour le tester. Il y a donc encore de nombreuses étapes à valider.
Pour le comblement osseux alvéolaire, avez-vous déjà réalisé des essais cliniques ?
Dr C. Gorin : Nous ne pouvons actuellement réaliser des essais car nous ne sommes pas autorisés à utiliser des cellules souches sur des patients pour ce type de pathologies. Il faut un accord de la Haute autorité de santé et des comités d’éthique. Pour le moment, il faut encore valider les modèles animaux, ce qui est en cours.
Quels sont vos résultats sur ces modèles ?
Dr C. Gorin : On a de bons résultats sur l’os du crâne. On n’a pas encore fait de modèle alvéolaire car il faudrait passer sur un animal plus gros que la souris, ce qui demande des collaborations avec des laboratoires extérieurs et l’autorisation des comités d’éthique. Nous avons pour le moment des barrières financières et logistiques, mais je ne pense pas m’avancer beaucoup en disant que sur le modèle alvéolaire, on aurait de bons résultats. En Chine, où les freins éthiques ne sont pas ceux de l’Europe, les chercheurs passent plus facilement au stade des essais sur l’homme. Une fois que l’on aura de bons de résultats sur la souris et des animaux plus gros, nous voudrions mettre en place une étude de recherche clinique, d’ici une dizaine d’années, dans le but de pouvoir réparer l’os humain.
Que vous apporte la collaboration avec d’autres laboratoires dans le monde ?
Dr C. Gorin : Notre laboratoire a des collaborations avec le Canada et d’autres laboratoires français. Ce sont les Canadiens qui nous ont formés sur la technique des matrices compressées. Nous avons des fonds qui poussent à la collaboration et le fait de travailler de concert sur une thématique permet d’avancer plus vite. Nous collaborons avec le Collège de France qui possède une expertise en angiogenèse. De notre côté nous apportons l’expertise dans le domaine de la minéralisation et de l’approche in vivo.
Votre laboratoire dirigé par le Pr Catherine Chaussain a reçu le prix 2018 de la Fondation des gueules cassées qui récompense l’ensemble de ses travaux sur la thématique crânio-faciale. Est-ce l’espoir de nouvelles avancées thérapeutiques dans la réparation des os crânio-faciaux ? À quelle échéance ?
Dr C. Gorin : Il est difficile de répondre à cette question car nous devons faire face à de nombreuses barrières législatives et administratives. Cependant, si on arrive à valider ces recherches chez l’animal, que l’on publie nos résultats dans une revue majeure, on peut espérer, une fois une validation obtenue dans le cadre d’une collaboration internationale, que les barrières éthiques et administratives seront plus facilement dépassées en France.
Il est important et nécessaire d’encadrer ces thérapeutiques du futur et que le recueil de ces cellules souches reste du domaine public pour éviter que ne se creusent les inégalités de soins comme dans d’autres pays. La France doit donc être leader dans ce domaine pour montrer la voie et surtout ne pas prendre de retard sur d’autres pays.
Qu’est-ce que cela augure pour la réparation des dents elles-mêmes, à la suite de dommages carieux ?
Dr C. Gorin : Nous avons connu des avancées au niveau de la réparation dentinaire. La Biodentine, matériau de coiffage pulpaire, permet par exemple une régénération dentinaire étanche et physiologiquement très bonne. Les progrès ont été dans ce domaine importants ces dernières années. À l’hôpital, on fait beaucoup de conservation pulpaire. Par contre, en ce qui concerne la réparation amélaire, on ne sait pas faire de l’émail et je ne suis pas sûre que l’on y arrive un jour. On ne sait pas greffer des améloblastes qui font de l’émail.
Cependant il y a eu beaucoup d’avancées sur les composites et la céramique et on dispose de biomatériaux ayant des capacités qui se rapprochent assez bien de l’émail. Les collages ont évolué et lorsque l’on respecte l’ensemble du protocole, on obtient une reconstruction solide et étanche qui permet de conserver la dent vivante. On peut imaginer qu’un jour on parviendra à revasculariser une dent de l’intérieur, mais il y a encore beaucoup de freins techniques, notamment l’accessibilité.
Des chercheurs chinois ont réalisé des travaux de revascularisation de dents chez l’homme, en faisant saigner l’apex, et les résultats sont assez prometteurs. Va-t-on trouver la manière de revasculariser la dent par l’apport d’un matériau, ou un bon protocole pour faire saigner la dent et apporter les progéniteurs nécessaires pour refaire une dent vitale ? Ce sera peut-être une combinaison des deux.