Déserts médicaux : il est "indispensable" de former plus de dentistes, alerte l'ONDPS
Plus de 7 000 étudiants devraient être formés en odontologie d'ici à 2025 pour répondre aux besoins croissants de la population, recommande l'ONDPS dans un rapport paru le 10 décembre.
Plus de dentistes doivent être formés ! Dans un rapport intitulé « Objectifs nationaux pluriannuels de professionnels de santé à former (2021-2025) » paru le 20 avril, l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) proposait de former 7 265 étudiants en odontologie pendant cette période. Aujourd’hui, l’organisme persiste et signe dans un rapport du 10 décembre intitulé Démographie des chirurgiens-dentistes : Etat des lieux et perspectives. L’objectif a été validé par l’Ordre et la Conférence des doyens. Il demande une augmentation d’environ 14% par rapport « au numerus clausus total cumulé 2016-2020 ». Le tout, en s’assurant d’une meilleure répartition sur le territoire.
Pour en arriver à ces recommandations, plusieurs constats ont été établis. Premièrement, les effectifs évoluent peu depuis 1995. Au 1er janvier 2021, 42 031 chirurgiens-dentistes de moins de 70 ans étaient en activité en France. Ces vingt dernières années, leur croissance de 4% a été moins rapide que celle de la croissance française (plus de 10%). Ainsi, la densité des chirurgiens-dentistes est inférieure à celles des années 90. Aujourd’hui, on compte 62 praticiens pour 100 000 habitants. Inquiétant quand on sait que la moyenne européenne tourne autour de 74. La situation est particulièrement critique dans quatre régions : Normandie (42), Centre-Val de Loire (44), Hauts de France et Bourgogne Franche-Comté (48).
Bien entendu, « l’inégale répartition géographique des chirurgiens-dentistes influence leur activité et la consommation de soins dentaires sur le territoire. ». « Dans les régions où la densité est plus forte (en Ile-de-France, par exemple, NDLR), la population est plus souvent consommatrice de soins dentaires. Les chirurgiens-dentistes ont une patientèle plus réduite, mais le nombre d’actes par patient semble plus important. Même s’il n’est pas facile de définir le bon niveau de soins, les écarts de consommation peuvent laisser craindre des différences de prise en charge bucco-dentaire, sans qu’il soit possible de savoir si les risques sont plutôt de l’ordre de sous-traitement dans les territoires sous-dotés ou de surtraitement dans les territoires les plus dotés », met en garde le rapport.
Une inégale répartition d’accès aux soins bucco-dentaires
D’après celui-ci, de nombreuses données font état de la non-satisfaction des besoins dentaires en France, surtout pour les populations fragilisées. « L’accès géographique aux soins dentaires est très inégal. La liberté tarifaire couplée à la liberté d’installation permet aux chirurgiens-dentistes de s’installer dans des zones sur-dotées, en les autorisant à compenser une moindre activité par des tarifs plus élevés », déplore l’ONDPS. D’après l’observatoire, dans l’Hexagone, le recours aux soins dentaires est largement inférieur à la moyenne européenne puisque seulement un assuré sur deux consulte un praticien au moins une fois par an contre plus de deux assurés sur trois en Allemagne et au Royaume-Uni. Le constat est d’autant plus inquiétant que la demande des soins ne cesse d’augmenter en raison du vieillissement de la population.
De ce rapport émergent toutefois certains points positifs. Si le « domaine bucco-dentaire a longtemps été absent des politiques de santé publique », le plan national de prévention 2006-2011, reconnaissait pour la première fois que « la grande fréquence des affections bucco-dentaires, leur retentissement sur l’état général et sur la qualité de vie, ainsi que leur répartition très inégale dans la population, en font une question de santé publique à part entière. ». « Depuis, la santé bucco-dentaire est davantage prise en compte, se félicite l’ ONDPS. Le plan national de santé publique promu dans le cadre de la stratégie nationale de santé 2018-2022 intègre des mesures relatives à la santé buccodentaire (renforcement des Pass bucco-dentaires pour les familles en situation précaire, Instauration d’un dépistage bucco-dentaire à l’entrée des personnes dépendantes en établissements médico-sociaux…). La convention nationale dentaire de 2018 constitue également un levier de développement de la prévention par l’amélioration de la prise en charge des soins dentaires, par certaines mesures spécifiques comme l’extension de la gratuité des examens de prévention au 18-24 ans et par des actions de prévention visant des populations à risques élevés dans le cadre d’une démarche intégrée de prévention des maladies chroniques. »
Le dilemme des diplômes étrangers
Le rapport évoque une « expérimentation construite par les CDF (…) afin de mettre en place des forfaits de prévention, variables selon le risque identifié chez les patients ». Celle-ci devrait être étendue sur tout le territoire, « mais ne pourra pas réussir s’il n’y a pas de praticiens pour la mettre en œuvre », alerte l’ONDPS. Concernant ces derniers, l’organisme s’interroge sur la « qualité de la formation et de l’harmonisation des formations cliniques » des professionnels à diplômes étrangers. Car ils sont passés de 5% de primo-inscrits à l’Ordre en 1999 à 40% en 2021. Des chiffres inquiétants quand on sait que, selon une étude sur la formation initiale en Europe, jusqu’à 10 % des étudiants peuvent obtenir un diplôme européen en ayant jamais pratiqué aucun acte sur un patient.
Au-delà des diplômes, le profil des praticiens n’est plus le même. La profession se féminise puisqu’elle est passée de 41% en 2013 à 48% en 2021. Elle rajeunit (48 ans en 2012, 46 ans aujourd’hui), travaille davantage en cabinet de groupe (47 à 54 % des structures entre 2013 et 2021) et privilégie de plus en plus le salariat (12 % des praticiens exercent aujourd’hui dans les centres de santé, contre 7 % en 2013). Ainsi, les nouvelles générations semblent s’orienter davantage vers « un exercice plus équilibré entre vie professionnelle et vie personnelle, ce qui pourrait diminuer la productivité des chirurgiens-dentistes ».
Fort de toutes ces considérations, l’ONDPS recommande donc d’augmenter le nombre de chirurgiens-dentistes pour un meilleur accès aux soins. Mais si cette condition est nécessaire, elle reste insuffisante. « En parallèle, il est indispensable de veiller à une meilleure répartition des chirurgiens-dentistes en s’appuyant sur un modèle économique plus équilibré, un système d’organisation et de formation favorable. »
Augmenter les capacités d’encadrement universitaires
Pour l’Observatoire, il faudrait augmenter les capacités de formation. C’est-à-dire créer des unités de formations localisées dans les zones moins denses. Car 77% des praticiens restent dans la région où ils ont été formés pour exercer. Ils sont également peu nombreux à changer de territoire après s’être installés : en 2021, 95% des chirurgiens-dentistes exerçaient toujours là au même endroit qu’en 2013.
Pour augmenter « les capacités d’encadrement universitaire, notamment en dehors des facultés d’odontologie », l’ONDPS conseille « la création d’un véritable statut de maître de stage universitaire en odontologie ». « L’ouverture de postes de maîtres de conférences ou de professeurs associés à mi-temps, proposés à des praticiens libéraux ou salariés doit être envisagée », suggère le rapport.
Ce dernier propose aussi de réfléchir à des « incitations à l’installation », « des dispositions conventionnelles promouvant un modèle économique plus équilibré et reconsidérant le système de zonage ». Pour finir, le développement du numérique et l’avènement de l’assistante qualifiée de niveau deux, dont le statut a enfin été validé, devraient permettre de dégager plus de temps au fauteuil pour les praticiens.