Le développement de la télémédecine bucco-dentaire
En plein essor, la médecine à distance offre des atouts en dentisterie. Entretien avec le concepteur de la solution e-Dent.
Dentoscope : Pourquoi avoir conçu la solution de téléconsultation dentaire e-Dent ?
Dr Nicolas Giraudeau : En décembre 2013, l’Agence régionale de santé a donné un financement pour une expérimentation au CHU de Montpellier pour développer cette solution à destination des maisons de retraite, des établissements pour handicapés et des prisons. En avril 2014 nous avons réalisé un premier acte de télémédecine bucco-dentaire entre un Ehpad et le CHU de Montpellier. 800 actes ont été effectués dans le cadre de cette expérimentation pendant un peu plus d’un an. L’expérience a été jugée concluante ; la société e-Dentech a vu le jour et commercialise aujourd’hui ce dispositif créé par l’université et l’hôpital de Montpellier pour permettre au plus grand nombre d’avoir accès à cette solution.
Combien d’actes de télémédecine ont été réalisés à ce jour ?
Environ 6 000 actes au niveau du CHU, mais il y en a plus de 2 000 supplémentaires réalisés par la société e-Dentech. Ces actes sont déployés dans des Ehpad, des foyers d’accueil médicalisés ou des ESAT dans lesquels les personnes ont une perte d’autonomie due à l’âge ou à un handicap physique ou psychique. Le principe de l’enregistrement d’images avec une caméra-intra-orale qui sont analysées a posteriori par un chirurgien-dentiste se développe de plus en plus, que cela soit sur le plan national ou international.
La télémédecine bucco-dentaire se doit d’être un outil de santé publique, mais de territoire. Si un chirurgien-dentiste ou un médecin basé à Paris analyse ou recueille les informations d’une personne située dans le Sud de la France, par exemple, il ne pourra pas organiser la prise en charge des soins. La télémédecine doit être développée pour améliorer la prise en charge des personnes et diminuer les inégalités, non les accroître.
Comment sont analysées les images prises par la caméra intra-buccale ?
D’après l’étude comparative qui a été faite en 2015. On a montré une qualité de diagnostic avec la caméra que nous utilisons qui est équivalente à celle qui est en œuvre en médecine bucco-dentaire classique. Selon moi, la fluorescence est indispensable dans le développement de la télémédecine bucco-dentaire qui permet de diagnostiquer les caries et les inflammations gingivales. L’œil du praticien est toujours présent à travers l’examen des images sur l’ordinateur, mais l’image de la fluorescence va donner des informations suffisantes pour compenser l’absence de contact physique entre le patient et le dentiste. En effet, la qualité de prise en charge ne doit pas être diminuée par télémédecine. D’autre part, l’avantage de la télémédecine est d’éviter le problème qui peut apparaître de l’acceptabilité de la consultation. Un professionnel de santé a été préalablement formé à l’utilisation de ce dispositif médical, aux bases de l’odontologie, et surtout il connaît et côtoie au quotidien le patient, ou le résident. Celui-ci va donc être plus enclin à accepter un examen bucco-dentaire s’il est effectué au moment le plus propice dans la journée.
Comment ont été formés ces personnels ?
Une personne peut être formée à l’utilisation du dispositif de télémédecine par établissement. Elle a l’avantage de bien connaître les résidents. Cela peut être une infirmière ou une aide-soignante, une personne qui a les compétences et la capacité règlementaire de réaliser cet acte. Dans une structure de type Ehpad, on a constaté la possibilité de pouvoir mutualiser le personnel qui va enregistrer les informations. C’est une personne qui connaît la personne âgée en général, qui va passer d’Ehpad en Ehpad et enregistrer les informations qui vont être nécessaires au chirurgien-dentiste. En fonction du projet, une réflexion est faite pour savoir ce qui est le mieux. Pour les personnes en situation de handicap, il est préférable que le professionnel soit celui de la structure, alors que pour les personnes âgées, c’est moins important, mais cela dépend de la gravité du handicap, ou du niveau de dépendance dans les Ehpad.
Quels sont les praticiens qui réceptionnent les images ?
Le CHU de Montpellier travaille avec des praticiens libéraux dans la région où l’hôpital peut avoir une implication, en relation avec le conseil de l’Ordre et l’URPS. Nous travaillons ensemble : libéraux, hospitaliers pour voir comment nous pouvons répondre à ce besoin. Il y a à juste titre une attention particulière de la part du conseil de l’Ordre, des URPS, des représentants de la profession, au fait que la télémédecine n’entraîne pas un détournement de patientèle. Il serait par exemple mal venu que le CHU de Montpellier fasse l’ensemble des analyses de tous les patients de tous les Ehpad de l’Occitanie parce que dans des structures il y a déjà des patients qui ont un chirurgien-dentiste. Il faut donc utiliser la télémédecine pour pallier les manques ou accroître l’efficience.
Une analyse des données par télémédecine avec ce système va prendre en moyenne environ huit minutes au praticien. C’est un gain de temps énorme lorsqu’il s’agit de patients en situation de handicap ou de dépendance. Une fois l’examen réalisé, on détermine qui fait les soins. Il y a un aspect de prévention pour former les professionnels des structures à la médecine bucco-dentaire et à l’utilisation de ce dispositif, pour que les personnes améliorent le brossage. Pour qu’elles puissent comprendre les bases de l’odontologie. Car rares sont les aides-soignantes et infirmières qui dans leur formation initiale en ont bénéficié.
En lien avec les recommandations du ministère de la santé, il faut faire un bilan dentaire à l’entrée en structure médico-sociale et le répéter de façon assez régulière. Or, on connaît la difficulté de certains résidents de se déplacer chez le dentiste, ou les praticiens de se déplacer dans les structures, en termes de temps, d’organisation ou de déontologie. Une fois la télémédecine réalisée, rien n’empêche que l’organisation de la prise en charge puisse être faite à l’échelle d’un territoire, en utilisant les différents réseaux de chirurgiens-dentistes existant en France, de faire en sorte que les praticiens volontaires puissent être impliqués sans favoriser l’un ou l’autre, en orientant au mieux pour le patient, en fonction des compétences ou de la spécificité de prise en charge par les différents professionnels de santé.
La télémédecine bucco-dentaire permet d’identifier les pathologies et le besoin en soins de la façon la plus précoce possible et de ne pas attendre une prise en charge qui deviendrait plus complexe pour des personnes qui ont des difficultés d’accès aux soins.