La dent naturelle : « Un modèle parfait »
Pour le chirurgien-dentiste, omnipraticien passionné par la dentisterie adhésive et esthétique, reproduire la perfection de la nature pousse à se remettre régulièrement en question.
Dentoscope : Quelle est l’avancée pour vous la plus fondamentale en dentisterie esthétique de ces dix dernières années ?
Dr Hugues de Belenet : Vous m’auriez dit 20 ans, sans hésiter, je vous aurais parlé du principe de « pénétration contrôlée à travers le mock-up » (Gürel, 2003). Il consiste à préparer à travers le mock-up, donc homothétiquement au projet prothétique final et non plus homothétiquement à la dent initiale, comme cela se faisait avant. Cela permet d’être moins iatrogène car moins délabrant pour les tissus dentaires sains… C’est une évidence aujourd’hui qui ne l’était pas il y a 20 ans ! Depuis 10 ans, la principale avancée en dentisterie esthétique est à mon sens la planification numérique de nos traitements esthétiques. D’abord en 2D avec la réalisation d’un « smile design » qui est un « Photoshop » du nouveau sourire de notre patient sur une photo de son visage. Il permet de guider notre prothésiste pour la réalisation précise du wax-up et nous évite des erreurs grossières en termes d’axes dentaires ou de longueur de dents lors de l’essayage en bouche de la simulation thérapeutique qu’est le mock-up. Mais les outils actuels (scan facial, empreinte optique, logiciel de modélisation) vont encore plus loin et permettent la création d’un véritable « patient virtuel » pour une simulation des objectifs thérapeutiques en 3D. L’idée étant ensuite d’arriver à reproduire en bouche ce qui aura été pensé numériquement en amont.
Vous dites : « Nous devons penser comme des architectes ». D’autres diraient nous devons penser en cliniciens… Quelle est la place de cette notion d’« architecture » dans votre pratique de la dentisterie esthétique ?
L’image de l’architecte vient de notre approche en amont du traitement qui est un peu similaire. J’écoute les demandes du patient, je recueille un maximum de données (photos, empreinte, radios…) puis j’établis un plan de traitement. D’abord en 2D (smile design) puis en 3D (mock-up de simulation en bouche). Et c’est une fois la validation de ce projet par le patient, le prothésiste et moi-même que la réalisation clinique et les préparations commencent. Un architecte ne commence pas à tout détruire chez vous avant d’avoir réfléchi à la façon dont il va reconstruire. C’est la même chose pour nous. Pour autant, nous sommes effectivement avant tout des cliniciens à deux niveaux. Dans la réflexion clinique initiale tout d’abord : comment puis-je intervenir en étant le moins délabrant ? Quels sont les matériaux indiqués pour cette approche ? Puis, bien sûr dans la réalisation clinique des différents actes techniques.
Vous êtes membre de l’équipe française du groupe international Bioémulation et de Bioteam Marseille. Quelle est la philosophie de ces groupes et que vous apporte-t-elle dans votre exercice en dentisterie esthétique ?
La bioémulation (ou biomimétique) est l’idée d’essayer de comprendre la nature pour s’en inspirer en tentant de la reproduire. C’est une approche d’humilité qui positionne la dent naturelle comme un modèle parfait, absolu. Conscient que nous ne ferons jamais aussi bien, nous commençons par essayer au maximum de préserver la dent naturelle dans nos traitements. Puis, en étudiant la nature, sous tous ses aspects (biologique, mécanique, optique), nous tentons de mieux la comprendre pour essayer de la reproduire. Cette philosophie me pousse au quotidien à intervenir au maximum a minima et m’oblige régulièrement à me remettre en question.
Comment traitez-vous les cas complexes ?
Avant d’aborder un cas complexe, il faut prendre du recul pour réfléchir, analyser les difficultés, évaluer les supports dentaires, cibler les objectifs thérapeutiques. C’est cette phase de réflexion qui va conditionner le succès final, la suite n’étant que de la réalisation technique. Et si l’on réfléchit bien, les cas complexes ne sont finalement qu’une succession d’actes simples mais qu’il faut tous réaliser correctement.
Vous dites : « Un artisan qu’il faut choyer, c’est votre prothésiste ». Quel mode opératoire avez-vous mis en place avec le vôtre ?
Le fait de travailler en équipe peut vite être source de déception. C’est le cas lorsque vous avez le sentiment d’avoir tout mis en place correctement et que le travail prothétique final n’est pas à la hauteur de vos attentes. La communication est donc essentielle pour transmettre au prothésiste nos attentes et celles de nos patients. Aussi, les débriefings sont fondamentaux pour accorder nos violons. Je partage au maximum avec lui le résultat final, qu’il soit bien ou moins bien, car s’il n’a pas de retour, il pensera que tout va bien et ne changera rien à ses habitudes. Une erreur trop souvent faite par les jeunes chirurgiens-dentistes est de trop se reposer sur le prothésiste en lui déléguant des décisions sans qu’il ait les informations nécessaires. Pour exemple, la réalisation d’un wax-up sans photos préalables, le choix du matériau sans qu’il connaisse la teinte du substrat… Quand je dis qu’« il faut choyer », j’entends qu’il faut donner au prothésiste tous les éléments pour qu’il ait la possibilité et l’envie de travailler correctement : belles préparations, belles empreintes, beaux provisoires, photos des provisoires en bouche mais aussi à l’échelle du sourire, photos et teinte des préparations… Si nous ne nous appliquons pas, pourquoi voulez-vous que lui s’applique pour
nous ?
Lorsque l’on souhaite pratiquer la dentisterie esthétique, quelle est selon vous la qualité indispensable à développer ?
Pour moi la première qualité pour pratiquer la dentisterie esthétique est la rigueur de travail. D’abord, parce qu’il faut connaître des protocoles précis, donc se former pour les maîtriser. Ensuite, parce qu’il faut s’efforcer d’appliquer correctement ces protocoles pour tous les cas cliniques sur tous les patients. Il est très tentant (souvent pour gagner du temps) de négliger certaines étapes en se disant : « Ce n’est pas grave, ce n’est pas top mais je corrigerai ensuite ». C’est un mauvais calcul car bien souvent, non seulement on n’arrive pas à rattraper la situation, mais en plus d’autres problèmes viennent s’ajouter. La rigueur est donc essentielle : je ne passe à l’étape suivante que quand la précédente est validée.