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Implantologie : les résultats par la pratique

Pour le Dr Michel Abbou, pionnier en implantologie, le bon sens clinique oriente la pratique implantaire. 

Par Agnès Taupin, publié le 10 janvier 2024

Implantologie : les résultats par la pratique

Avec plus de quarante ans de pratique clinique et de nombreux articles publiés dans des revues nationales et internationales, le Dr Michel Abbou arbore également un palmarès de conférencier et d’animateur de rubriques cliniques pour divers médias professionnels. Il est depuis dix ans le directeur des programmes scientifiques de SICT MIEUX.

 

Dentaire365 : Pour vous, qu’est-ce que recouvre la notion d’expertise en implantologie ?

Dr Michel Abbou : Si vous allez chercher dans le dictionnaire Larousse, l’expert se définit au sens premier comme  » une personne qui connaît bien quelque chose par la pratique  » ; on peut donc reconnaître le titre d’expert en implantologie à un professionnel qui exerce cette discipline depuis longtemps, avec un nombre significatif de traitements à son actif.
En seconde définition, le Larousse nous indique que ce titre peut aussi désigner  » une personne apte à juger de quelque chose  » ; par corollaire, les attitrés de la première catégorie y sont forcément admis, mais on peut y ajouter des personnes  » non pratiquantes  » qui ont cependant acquis un certain volume de connaissances pour avoir la capacité d’apprécier la bonne ou mauvaise facture des traitements dans le domaine concerné. Ce sera notamment le cas des experts judiciaires auxquels on ne demande pas de faire état d’un minimum d’expérience pratique pour les autoriser à donner, voire imposer leur avis dans la résolution de litiges entre patients et praticiens.

En matière d’implantologie, mon cursus universitaire et mon parcours professionnel me placent dans la première catégorie du Larousse, avec la chance de ne jamais avoir eu l’occasion de me trouver en conflit avec des personnalités de la seconde définition qui ont, contrairement à moi, acquis un diplôme d’expertise judiciaire. En revanche, j’avoue avoir toujours bataillé (et cela continue encore aujourd’hui) avec mes consœurs et confrères sur le champ des convictions professionnelles à propos de telle ou telle autre attitude thérapeutique. En effet, en marge de savoir qui est expert ou pas en implantologie, je m’investis et j’argumente dans des modalités thérapeutiques que j’ai moi-même éprouvées… Face – le plus souvent – à des professionnels aux convictions fondées uniquement sur des axiomes qu’ils n’ont jamais osé braver, ni même explorer dans leur propre pratique professionnelle. Je ne dis pas qu’ils ont tort en cela, mais je leur reproche simplement de  » combattre  » à armes inégales en opposant des convictions émanant de simples théories à celles fondées sur les résultats de la pratique. C’est d’ailleurs bien sur le fondement par la preuve pratique que repose de nos jours le concept universel de l’EBD (Evidence-Based Dentistry) énoncé en 1999 par l’American Dental Association, à ne pas confondre avec les recommandations des bonnes pratiques.

 

En implantologie, comme dans d’autres disciplines, avant d’être admis, les protocoles d’avant-garde peuvent passer par une période d’opposition ou de rejet…

Force est de reconnaître qu’il faut un minimum de temps pour qu’un concept thérapeutique acquière ses lettres de noblesse en entrant officiellement dans le domaine de l’EBD. Un temps pendant lequel les experts de la première catégorie travaillent à faire reconnaître aux experts de la seconde catégorie la validité des protocoles qu’ils se sont risqués à éprouver en dehors des chemins balisés par l’enseignement universitaire officiel. Il ne s’agit pas ici de disserter sur qui a tort et qui a raison quant à sa façon d’appréhender le métier que nous sommes en droit d’exercer à l’aune d’un doctorat acquis en bonne et due forme. Il s’agit juste d’acter que le tempérament de certains consiste à ne jamais sortir des pistes tracées par nos aînés, alors que d’autres se lancent volontiers en hors-piste pour essayer de pousser plus loin les limites de nos champs d’action.

Du haut de mes 42 années d’exercice, je reconnais volontiers faire partie de ces hors-pisteurs, avec à mon actif quelques  » faits d’armes  » mémorables. À commencer par mon statut de membre de l’équipe pionnière en implantologie ostéointégrée, dans le cadre du premier service parisien fondé par Patrick Missika en 1986 à l’université Paris VII… Une époque où cette bravade était regardée de travers par la majorité des autres universitaires qui n’avaient pas encore pris connaissance des travaux de l’École suédoise, ou qui n’y croyaient pas…
J’ai aussi été parmi les premiers praticiens français à pratiquer, prôner et enseigner la technique d’extraction-implantation immédiate (avec publications dès la fin des années 80), technique qui n’a été officiellement reconnue par les experts judiciaires français qu’à l’issue de la conférence internationale du Consensus de 2004… J’aime également à rappeler que je suis au nombre de ceux qui ont prôné et enseigné les avantages de la prothèse vissée sur la prothèse scellée tout en y adjoignant les formidables techniques de rattrapage d’axe, sans oublier mes plaidoyers cliniques en faveur des prothèses fixes mixtes dento-implanto-portées.

 

Le bon sens clinique est-il l’un des concepts qui définit le mieux votre pratique ?

Le bon sens clinique est en effet une notion majeure selon moi. Il est hélas ce qui semble manquer le plus à nombre de jeunes praticiens d’aujourd’hui (j’en vois beaucoup défiler en stage à mon cabinet) qui, contrairement à leurs aînés, ont été formés en grande partie via des moyens numériques… Au point que certains confondent volontiers les données de la réalité virtuelle et celles de la vraie vie.

Il y a peu de temps, je présentais la particularité d’un cas clinique dans un groupe de professionnels sur Facebook. Le cas en question illustrait parfaitement les propos que je tenais dans deux articles précédemment publiés ; l’un concernant l’intérêt respectif des diverses modalités de mise en fonction chirurgicale des implants enfouis (deuxième temps opératoire), l’autre argumentant le recours à un protocole de prothèse vissée avec rattrapage d’axe. Je me suis alors laissé embarquer dans un échange de commentaires avec un jeune confrère se montrant ouvertement critique vis-à-vis de ma démarche. L’apogée de cet échange sans intérêt fut atteint lorsque mon objecteur affirma  » qu’on voyait bien que j’étais un implanto de la vieille école car si j’avais pris la peine de travailler avec un guide chirurgical, je n’aurais pas eu besoin de recourir à un rattrapage d’axe prothétique… « .

La morale de cette histoire pourrait être que, de même que les rabbins, imams et curés se doivent d’écouter leurs fidèles respectifs et de répondre éventuellement à leurs interrogations, il est clair qu’ils ne peuvent sérieusement débattre de leurs liturgies qu’entre eux ou avec des personnes au savoir équivalent en la matière… Il en va ainsi de tous les domaines de connaissance : les experts sont requis pour arbitrer là où il y a lieu de les solliciter, mais leurs débats et interrogations se doivent de rester entre les murs d’experts, au-delà desquels ils ne trouveront que rarement des questionnements, réponses ou intérêts salutaires.

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