Dr Anne Longuet : « Il faut préserver l'émail »
Pour la praticienne, une meilleure connaissance de l'organe dentaire contribue à la pérennité des restaurations.
Dentoscope : Vous avez orienté votre exercice vers la dentisterie restauratrice et esthétique et vous faites partie du comité scientifique de l’ADF 2022. Comment avez-vous accompagné l’élaboration du programme du congrès ?
Dr Anne Longuet : Des séances sont axées sur la restauration et d’autres sont transversales car nous avons voulu montrer la complémentarité de nos spécialités, notamment avec la parodontie. J’ai élaboré le programme tout d’abord à l’aune de celui de l’an dernier et des thèmes qui avaient été abordés. Je me suis basée sur les problématiques que pouvaient rencontrer mes confrères dans leur cabinet. Lors du congrès qui s’adresse aux omnipraticiens, j’ai souhaité montrer les évolutions en dentisterie restauratrice et pouvoir répondre à leurs questions au travers des séances. Le but est d’apporter de l’information aux chirurgiens-dentistes. Les thèmes ont été ensuite validés par le comité de pilotage de l’ADF et le président du congrès.
La dentisterie est aujourd’hui de plus en plus conservatrice. Quels sont ses moyens actuels pour remplir ses objectifs ?
La dentisterie restauratrice a connu des évolutions très importantes ces quinze dernières années avec les travaux sur l’adhésion de Pascal Magne et le concept du biomimétisme élaboré par Pascal Magne et Panaghiotis Bazos. Ils ont jeté les bases du biomimétisme qui consiste à observer et à essayer de copier la nature. Il s’agit d’avoir une meilleure connaissance de l’organe dentaire et de son fonctionnement dans un environnement complexe afin de pouvoir le restaurer de manière pérenne et d’augmenter la durée de vie des dents sur l’arcade. Il faut essayer de copier les tissus dentaires et faire en sorte que la primo-intervention soit la plus conservatrice possible. Plus on conserve d’émail, plus on augmente la durée de vie de la dent sur l’arcade.
La restitution du tissu dentaire va être réalisée en utilisant des matériaux en adéquation avec ce concept. On va émuler l’émail avec la céramique et la dentine avec les matériaux composites. L’émail et la dentine fonctionnent en symbiose à l’image de la jonction amélo-dentinaire entre les deux tissus. Cette symbiose est reproduite à travers la couche hybride formée par les systèmes adhésifs à la surface de la dent. Le but est bien sûr de conserver l’émail qui est, comme le disait Pascal Magne, un « tissu sacré », car il donne à la dent sa résistance mécanique.
Il faut avant tout approfondir sa connaissance des biomatériaux, des systèmes adhésifs, des composants de la dent et de son environnement. La photographie dentaire peut être une aide. À partir de cette connaissance, on va ensuite mettre en place les moyens techniques ou technologiques, mais aussi en utilisant des biomatériaux adaptés à la reconstitution de la dent.
Une séance portera sur le thème : « La dentisterie biomimétique : du concept à l’évidence clinique ». Quels seront les grands axes scientifiques de cette conférence ?
C’est une séance internationale qui rassemblera Gil Tirlet, David Gerdolle et Marco Gresnigt. Cette séance sera présidée par Panaghiotis Bazos. Elle permettra de présenter l’évolution de la dentisterie biomimétique et donc la préservation tissulaire et de l’émail au travers de différentes conférences. David Gerdolle abordera la reconstitution des secteurs antérieurs avec des matériaux composites en étant le moins invasif possible. Marco Gresnigt parlera des recouvrements cuspidiens dans le secteur postérieur. Il montrera que l’on peut être moins délabrant, qu’il n’est pas toujours nécessaire de recouvrir les cuspides et que l’on peut émuler l’organe dentaire. Gil Girlet traitera d’un aspect plus biomécanique, des matériaux et du fonctionnement en symbiose de la dentine et de l’émail afin de mieux les reproduire.
Une autre séance, en clôture de congrès, portera sur la restauration de la dent dépulpée. Quels nouveaux paradigmes seront décrits à ce sujet ?
Auparavant, on considérait que la dent dépulpée devait être traitée avec un inlay-core et une couronne. On mettait des tenons, on enlevait l’émail et on posait des couronnes. Avec la connaissance de la biomécanique et des tissus on s’est rendu compte que la dent dépulpée n’est pas une dent fragile. Ce qui fragilise la dent, c’est la perte de substance du fait de la carie et celle liée à la réalisation de la cavité d’accès pour faire le traitement canalaire. Il y a un affaiblissement mécanique, mais ce n’est donc pas une dent fragile. Un tenon ne va pas renforcer la dent et n’est donc pas obligatoire.
En utilisant les matériaux appropriés, notamment les composites fibrés qui permettent de restituer un cœur dentinaire au niveau de la cavité d’accès de cette dent dépulpée, on va réaliser une reconstitution sans tenon sur laquelle on vient coller un overlay en céramique. Pour coller cette pièce on aura réalisé une préparation beaucoup moins invasive qu’une préparation périphérique de type couronne parce que l’on aura conservé l’émail de la dent. On parle de l’effet ferrule : plus on conserve celui-ci, c’est-à-dire la partie cervicale de la dent, plus on réduit le risque de fracture de la dent dépulpée. On en revient à l’importance d’une meilleure compréhension des tissus que l’on remplace, de la biomécanique de la dent et de la préservation de l’émail.
Quelles innovations vont encore faire progresser la dentisterie restauratrice ? Les matériaux ? La recherche sur la régénération de la substance dentaire ?
Les biomatériaux céramiques vont encore évoluer, les composites aussi, ainsi que les matériaux hybrides : c’est ce qui permettra à la dentisterie restauratrice de progresser encore. Il n’y aura peut-être pas une révolution à l’image de celle de la dentisterie adhésive, mais ce sera encore une amélioration des biomatériaux. Au regard de la recherche de la régénération de la substance dentaire, c’est le rêve de tout chirurgien-dentiste de pouvoir restaurer les dents sans y toucher. Je pense que l’innovation ce sera surtout la prévention et la formation des praticiens qui continueront de faire progresser la dentisterie restauratrice.