Réforme des SEL : quelles nouveautés pour les cabinets dentaires ?
Entrée en vigueur le 1er septembre dernier, l'ordonnance du 8 février 2023 est venue modifier le régime juridique des sociétés d'exercice libéral. Zoom sur les dispositions applicables aux praticiens.

La possibilité pour un praticien d’exercer son activité au sein d’une société commerciale n’a été admise en France qu’avec la loi du 31 décembre 1990 instituant le régime de la société d’exercice libéral (SEL). Cette loi s’est rajoutée aux corpus de textes existants déjà, autorisant d’autres formes sociales (SCP, SCM, etc.) en fonction des professions règlementées concernées.
Depuis lors, les textes se sont multipliés, quitte à rendre la compréhension du régime assez indigeste. L’ordonnance du 8 février 2023, relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées, abroge les textes antérieurs et devient le texte de référence pour toutes les structures (SCP, SEP, SEL, SPFPL, SCM, etc.). Elle s’inscrit dans une volonté de simplifier le régime juridique des professions règlementées en regroupant en un seul texte l’ensemble des dispositions applicables aux SEL mais pas seulement.
Cette réforme est donc dite « à droit constant », elle n’a pas vocation à modifier le régime juridique applicable. Elle crée notamment trois familles de professions règlementées auxquelles seront applicables des règles différentes : les professions de santé, les professions juridiques ou judiciaires, les professions techniques et du cadre de vie qui réunit toutes les autres professions libérales réglementées. Seule la première nous intéressera ici.
Sur le fond : quelques nouveautés
S’agissant de la famille des professions de santé, et en l’absence d’un décret spécifique à la profession de chirurgiens-dentistes, l’ordonnance respecte le cadre qui lui était imposé et peu de modifications ont été apportées au régime.
Extension de l’obligation d’information annuelle du Conseil de l’ordre
En effet, si auparavant la société devait adresser chaque année un état de la composition de son capital social au Conseil départemental de l’ordre, elle devra maintenant y joindre une version à jour des statuts et les conventions contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des dirigeants.
La possibilité d’organiser statutairement le retrait d’un associé
Si l’article R4113-19 du code de la santé publique autorise un associé de SEL à cesser son activité professionnelle au sein de la société sous réserve de respect d’un préavis maximal de six mois, rien n’était prévu quant au rachat de ses parts.
L’ordonnance de 2023 y remédie en précisant que les associés peuvent prévoir dans les statuts les modalités de rachat des parts de l’associé partant.
La possibilité pour les SPFPL de détenir les locaux du cabinet
L’ordonnance vient consacrer la possibilité pour une société holding, propriétaire de parts de SEL, de détenir les locaux du cabinet dentaire exploité par ladite société. Toutefois, le point de savoir si une SPFPL est autorisée à détenir d’autres biens immobiliers n’a pas été purgé.
Ici comme souvent, nous pensons qu’il convient de faire preuve de bon sens. Dans la mesure où une SPFPL est autorisée à placer sa trésorerie sur des produits de placement et d’épargne, il semble envisageable qu’elle puisse investir dans des sociétés de type SCI par le biais d’apport en compte courant rémunéré. Elle pourrait pour cela détenir une portion minoritaire du capital social.
À l’inverse, l’accomplissement d’activité de promotion immobilière ou de marchands de biens semble à exclure.
Sur la forme : la nécessité de mettre à jour les statuts
La loi de 1990 régissant auparavant les sociétés d’exercice libéral ayant été abrogée, tous les chirurgiens dentiste exerçant en SEL vont devoir mettre à jour les statuts de leur société. Il conviendra pour cela de tenir une assemblée générale extraordinaire ou de consigner les décisions des associés dans un acte unanime. Il faut veiller à bien respecter les règles de convocation et de majorités.
Les clauses à modifier seront donc :
– l’article sur la forme (habituellement le premier) et plus généralement toutes les références aux textes ayant été abrogés ;
– les informations devant être communiquées annuellement au conseil de l’ordre ;
– et éventuellement insérer une clause sur les modalités de rachat des parts d’un associé ayant fait valoir son droit de retrait (délai de rachat, prix, méthode de valorisation de la société, etc.).
Délai
Les sociétés auront un an pour se mettre en conformité avec l’ordonnance, soit au plus tard le 31 août 2025.
Sachez toutefois qu’en pratique, si vous faites une quelconque modification dans vos statuts (changement de siège social, d’associés, etc.), le conseil de l’ordre départemental n’acceptera ledit changement que si les statuts de votre SEL ont été mis à jour. Il s’agit de l’anticiper.
État des lieux de l’imposition de la rémunération d’un associé de SEL
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Pour la première fois cette année, tous les associés exerçant en SEL devront déclarer leur revenu d’activité dans la catégorie des BNC. Formalités d’affiliation, 2035, TVA, point sur le régime applicable.
Un chirurgien-dentiste qui exerce sa profession au sein d’une société d’exercice libéral (SEL) peut être rémunéré de plusieurs façons :
– au titre de l’exercice de son activité libérale de soin, il s’agira alors de la rémunération de ses fonctions techniques ;
– au titre de son activité de dirigeant de la société, il s’agira là de la rémunération de son mandat social (gérant, président ou directeur général selon la forme SELARL ou SELAS) ;
– et comme tout associé, qu’il soit exerçant ou non de la société, en sa qualité de propriétaire de titres de la société, au moyen de dividendes.
En toute logique, l’imposition variera en fonction du type de rémunérations.
Jusqu’à l’année dernière, la rémunération des fonctions techniques et de dirigeant d’un gérant majoritaire de SELARL pouvait relever de la catégorie des traitements et salaires en vertu de l’article 62 du code général des impôts, à l’inverse des autres praticiens en SEL, qui eux, relevaient nécessairement de la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC).
La principale différence entre BNC et article 62 tient à l’abattement forfaitaire de 10 % pour frais professionnels. En effet, les rémunérations soumises à l’article 62 du CGI bénéficient automatiquement d’un abattement de 10 % au titre des frais professionnels. Tel n’est pas le cas pour les rémunérations imposées dans la catégorie des BNC dont les frais sont déduits pour leur montant réel. Outre la nécessité de s’astreindre à une comptabilité détaillée, il semble difficile qu’un chirurgien-dentiste parvienne à justifier de frais professionnels à hauteur de 10 % du montant de sa rémunération. Cette différence peut conduire à une imposition, pour le même montant de revenu, allant jusqu’à 6 000 €.
Par une publication du 15 décembre 2022, l’administration fiscale est venue préciser que les gérants majoritaires de SELARL allaient désormais relever de la catégorie des BNC pour la rémunération de leurs fonctions techniques. Cette publication, sortie sans concertation, quinze jours avant son entrée en vigueur, chamboulant complétement le régime d’imposition des rémunérations de gérants de SELARL, et laissant en suspens d’innombrables questions, a créé un tollé général. À tel point, que quelques jours après, le 5 janvier 2023, l’administration fiscale a décalé d’un an son entrée en vigueur, soit pour les revenus perçus à compter du 1er janvier 2024 déclarés en 2025.
1. L’imposition de la rémunération des fonctions de direction
La rémunération du mandat social d’un associé exerçant (président, directeur général, ou gérant) est imposée dans la catégorie des traitements et salaires. Ces sommes bénéficient automatiquement de l’abattement forfaire de 10 %.
À noter : il est parfaitement possible d’être associé exerçant d’une SEL sans en être dirigeant.
2. L’imposition de la rémunération des fonctions techniques
La rémunération d’un associé exerçant, dirigeant ou non, d’une SEL (SELAS, SELARL, etc.), allouée à raison de l’exercice de son activité libérale de chirurgien-dentiste dans la société est imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.
Les associés de SEL dont le montant de la rémunération perçue à titre de BNC n’excède pas 77 700 € (en ce comprises les dépenses et charges acquittées en son nom par la société), peuvent bénéficier du régime micro-BNC. Leur régime d’imposition est alors simple, ils doivent porter le montant de leurs recettes annuelles directement sur la déclaration de revenu (formulaire n°2042) et seront imposés sur cette sommes après application d’un abattement forfaitaire de 34 %.
À l’inverse, les associés dépassant ce seuil, ou les autres sur option, seront soumis à un régime réel d’imposition. Le montant de leur BNC imposable sera calculé en soustrayant des honoraires encaissés au cours de l’année précédente, les dépenses nécessitées par l’exercice de la profession, effectivement payées au cours de la même période. L’abattement forfaitaire de 10 % ne sera pas applicable. Ils devront, en outre, déposer une déclaration 2035, avant le 5 mai 2025, ou le 20 mai 2025 s’ils déposent leur déclaration par télétransmission.
Lorsqu’il est établi qu’un lien de subordination existe entre l’associé et la SEL, ces rémunérations sont imposées dans la catégorie des traitements et salaires.
3. Le cas des gérants majoritaires de SELARL
L’administration aurait pu s’arrêter à cela, et uniformiser intégralement l’imposition des associés de SEL, mais il n’en est rien. Sans que l’on comprenne réellement pourquoi, les gérants associés majoritaires de SELARL, et uniquement eux, bénéficient d’une exception.
Ainsi, lorsque les rémunérations qui leurs sont allouées à raison de leurs fonctions techniques ne peuvent pas être distinguées de celles perçues au titre des fonctions de gérant, alors l’intégralité de la rémunération est imposée dans les conditions prévues à l’article 62 du CGI (soit dans la catégorie des traitements et salaires comme précédemment).
Cela étant, l’administration fiscale est venue adopter une position très restrictive sur ce qu’était une activité de gérant. Ainsi, ne relèvent des fonctions de gérant que les tâches ne pouvant être liées à l’activité libérale (par exemple : la convocation d’assemblée, la représentation de la société dans les rapports avec les associés et à l’égard des tiers, la décision de déplacement du siège social de la société, etc.).
Toutes les tâches, même de nature administrative, pouvant être reliées, de près ou de loin, à l’activité libérale, devront lui être rattachées. Tel sera le cas de la facturation et de l’encaissement du patient, de la prise de rendez-vous, de la gestion des approvisionnements de fournitures, de la gestion des équipes et du personnel, ou encore de la rédaction d’ordonnances.
Dans ces conditions, il nous semble difficile d’appliquer l’ancien régime en vertu de l’exception ci-avant mentionnée. A fortiori parce que l’administration est venue proposer une règle pratique qu’il soit ou non possible de les distinguer de la rémunération de son activité libérale.
Elle propose en effet qu’une part de 5 % de la rémunération d’ensemble perçue par les gérants majoritaires de SELARL au titre de leurs fonctions techniques et de gérance, soit imposable dans les conditions de l’article 62 du CGI, les 95 % restant relevant du BNC.
Les taches pouvant être rattachées aux fonctions de gérant ayant été réduites comme peau de chagrin, il y a lieu de s’interroger sur la nécessité de les rémunérer. La règle proposée par l’administration fiscale semble donc pertinente. Cela permet au praticien concerné de bénéficier des avantages des deux régimes.
Le régime social applicable à la rémunération de l’associé exerçant n’est pas modifié, celle-ci sera soumise au régime des travailleurs indépendants (hors les cas de salariat et de rémunération des fonctions de président ou de directeur général de SELAS qui relèveront du régime général).
4. La non-soumission du BNC à la TVA
Il est désormais clairement établi que, bien que relevant de la catégorie des BNC comme un collaborateur libéral, la rémunération d’un associé exerçant de SEL n’est pas soumise à TVA.
En effet, le chirurgien-dentiste exerce sa profession au travers de la société. Il ne supporte pas directement le risque économique propre à cette activité. Les chirurgiens-dentistes ne pouvant déduire la TVA, cette précision était essentielle, faute de voir accroître le coût de leur rémunération de 20 % !
Ce même raisonnement est appliqué par l’administration pour les exclure du champ d’application de la CFE.
5. La nécessité pour le gérant de SELARL d’inscrire son BNC
Depuis cette année, les gérants majoritaires de SELARL ne peuvent donc plus déclarer l’intégralité de leur rémunération en traitements et salaires. Ils doivent, à hauteur de 95 % de celle-ci, déclarer leur rémunération dans la catégorie des BNC. En pratique, cela suppose d’être déclaré en tant que tel auprès de l’administration fiscale, ce qui n’est pas le cas du gérant de SELARL.
Dans une note de septembre 2024, soit neuf mois après la publication de sa nouvelle doctrine, l’administration fiscale est venue préciser ce qu’il convenait de faire à cet effet. Pas de courriel ou de procédure automatisée, l’associé concerné devra, avant la déclaration de ses revenus 2024 à déposer dans les semaines qui viennent, prendre sa plume et adresser un courrier postal au service des impôts des entreprises dont il dépend, en demandant son inscription en tant qu’associé de SEL relevant de la catégorie des BNC pour l’imposition de ses revenus perçus au titre de son activité libérale.
Après des décennies de fluctuation, le régime d’imposition des revenus de l’associé de SEL semble enfin clarifié. Toutefois, des recours judiciaires sont actuellement en cours et il n’est pas impossible que de nouvelles modifications voient le jour.