Dossier spécial - Mon cabinet 2.0
Le dernier IDS était fully connected ! Le cabinet tout numérique, tout le monde sinon en rêve du moins en parle… entre réalité pour les "early adopters" moyen terme et illusion pour les derniers rares réfractaires, le point sur le virage numérique et ses apports (véritables) en dentisterie.
C’est la conférence inaugurale de l’ADF 2015 qui le dit : « Le dentaire est l’une des premières disciplines à s’être intéressée à la santé numérique. » Plusieurs raisons ont motivé cet intérêt précoce : un travail au fauteuil plus précis et donc plus qualitatif, l’optimisation de la relation soignant/soigné et de l’information qui gagne en pédagogie grâce à des formats enrichis et consultables via les tablettes. Et mention spéciale pour les industriels du secteur, très créatifs, qui ont soutenu cet essor avec des investissements très élevés en R&D… La promesse du cabinet 2.0 tout numérique, si elle était (vraiment) tenue, semble plus qu’alléchante.
Dans le même temps, l’investissement plus que conséquent et les changements de protocoles et d’habitudes que représente un cabinet 2.0 connecté sont aussi à prendre en compte. Ils induisent la collaboration de tous les partenaires. Ces réalités pondèrent parfois les ardeurs numériques des cabinets dentaires. À ce stade, la profession traverse donc une période de transition où cohabitent une dentisterie dite « traditionnelle » et une dentisterie numérique. Nombreux praticiens ont toutefois déjà appréhendé le virage numérique qu’expérimente la profession, car auparavant disparates, les différents maillons de la chaîne numérique se relient désormais entre eux pour créer un cabinet 2.0 connecté cohérent.
Le cabinet 2.0 numérique d’aujourd’hui combine imagerie, numérisation, conception et fabrication assistée par ordinateur (CFAO), secrétariat et comptabilité, CRM, impression 3D, etc. Toutes ces innovations permettent de dépister de manière plus précoce les maladies bucco-dentaires, d’effectuer un diagnostic plus sûr en amont d’une intervention, de gagner du temps administratif et de proposer des traitements plus précis et efficaces, sécurisés et orientés vers la prévention et l’économie tissulaire.
Les soins à l’ère du numérique
Imagerie, CFAO, implanto… le numérique a envahi la salle de soins au plus grand bénéfice du praticien, de ses partenaires et du patient.
C’est par l’imagerie que tout commence
C’est par la porte de l’imagerie que le numérique est entré il y a 35 ans déjà dans le cabinet dentaire : le numérique, en ce qui concerne l’imagerie du moins, représente déjà la norme, incontournable. Et pour cause. Les inconvénients pratiques de l’argentique ont été balayés par la numérisation : réduction des frais variables (films, produits de développement), élimination de la problématique du stockage au cabinet, de la nécessité d’avoir à s’équiper d’une «chambre noire», disparition du temps-homme pour le développement, le séchage et le marquage des films, plus de gestion des déchets… Les comparaisons dosimétriques sont à intégrer en faveur de la numérisation. Les avantages du numérique tiennent également dans son système plein jour, l’absence de produits chimiques nocifs, pratiquement aucun risque de sous ou de surexposition, la disponibilité immédiate des images numériques associée à l’archivage des clichés.
L’imagerie au cabinet fait appel à une imagerie sectionnelle, des radiographies intra-orales ou panoramiques, des scanners, de la tomodensitométrie volumique par faisceau conique ou cone beam (CBCT, cone beam computed tomography), ou des IRM. L’amélioration progressive de la résolution des dispositifs numériques a permis d’égaler (voir de dépasser) la qualité des clichés argentiques traditionnels. Le marché évolue vers des machines dites « low radiation », diffusant moins de rayons pour des examens plus rapides mais tout aussi précis, il convient de respecter le principe de la radioprotection Alara (acronyme de l’expression anglophone : « as low as reasonably archievable »).
Les données d’imagerie sont enregistrées au format universel Dicom ou STL. Connaître le fonctionnement des formats de fichiers du standard Dicom (pour Digital imaging and communications in medicine) ou STL (de STéréoLithographie, standard industriel de la modélisation de pièces pour la production par procédés additifs, utilisant une représentation 3D par triangulation) permet de mieux choisir son matériel (ou logiciel d’imagerie) en fonction de ses besoins, de la communication avec ses partenaires.
La norme Dicom est utilisée dans la plupart des institutions de santé dans le monde où l’imagerie du patient est pratiquée. La plupart des dispositifs d’imagerie et des produits de systèmes informatiques liés à l’imagerie la prend en charge. Dans l’informatique de santé, les normes internationales abordent l’échange d’images numériques et des informations associées entre l’équipement d’imagerie médicale et les systèmes concernés par la gestion de ces informations.
Go vers la CFAO
Comme tout le reste de l’arsenal thérapeutique traditionnel, les étudiants en dentaire intègrent désormais la CFAO à leur parcours : une formation à Montpellier porte même le nom du Pr François Duret, le père de la CFAO (ou, en anglais, Cad-Cam, computer aided design/computer aided manufactured).
C’est un système en trois mouvements : une première étape consiste en l’acquisition des données ; elle repose sur une prise d’empreinte au moyen d’une caméra optique (ou sur le scan de modèles en plâtre obtenus depuis une empreinte conventionnelle), suit une phase de conception assistée par ordinateur ; la dernière étape tient dans la fabrication à proprement parler, assistée par ordinateur. En 2015, le système Cerec, premier système commercialisé de conception et d’usinage de restaurations prothétiques sur le marché, a fêté… son 30e anniversaire !
Les laboratoires ne sont pas en reste, parallèlement, depuis une dizaine d’années, le numérique a investi leur quotidien sous forme de scanners d’acquisition. Depuis de nombreuses années, ils numérisent les empreintes une fois celles-ci coulées, scindées, les préparations détourées et les limites définies. L’industrie offre des machines-outils d’une précision tout à fait performante pour permettre l’usinage direct d’armatures prothétiques. L’avènement de nouveaux matériaux usinables ou imprimables ouvre largement le champ des possibles. Les prothésistes sont donc expérimentés à l’utilisation du numérique tant pour l’acquisition que pour le design.
Indirect, semi-direct ou direct ?
Quotidiennement des milliers d’empreintes silicones sont encore nécessaires, certaines d’entre elles seront numérisées, soit au cabinet à l’aide d’un scanner de table ou d’un cone beam, soit au labo. C’est la méthode indirecte. La conception finale de la réalisation prothétique nécessite l’utilisation de logiciels métiers complexes et puissants. Cette étape incombe donc en général aux prothésistes rompus à l’utilisation de ces produits. Le choix du type de matériau détermine les règles de réalisation et de design des restaurations. La fabrication de l’élément prothétique peut se faire par soustraction ou par addition.
On parlera donc d’usinage (décolletage) ou encore d’impression (stéréolithographie). La fabrication peut se faire en fonction des équipements nécessaires au laboratoire ou bien être sous-traitée à l’extérieur. Lorsque seule l’armature a été réalisée par FAO, le technicien de laboratoire devra monter son cosmétique par stratification, il a alors besoin d’un modèle. Il utilisera celui issu de la coulée de l’empreinte silicone. La finition, la caractérisation et le glaçage dépendront du matériau choisi et sont toujours réalisés au laboratoire. La CFAO peut aussi être réalisée sans empreinte physique.
L’acquisition est réalisée cette fois directement en bouche à l’aide d’un scanner intra-buccal numérique. L’empreinte numérique peut être complétée, en fonction des modèles de caméra, de photos cliniques des préparations, ce qui apportera au prothésiste de précieux renseignements. Le système est dit ouvert si l’empreinte numérique obtenue se présente sous la forme d’un fichier STL et peut être adressée par le praticien au laboratoire de prothèse de son choix. Le système est dit fermé si l’empreinte numérique ne peut être traitée que par un seul et unique partenaire.
Dans la technique semi-directe, la prothèse est réalisée à l’extérieur du cabinet et nécessite donc une phase de transition assurée par une prothèse provisoire. Les différentes étapes sont les mêmes que dans la technique de l’empreinte silicone scannée à quelques différences près_: le scannage du modèle ou de l’empreinte ne s’avère pas nécessaire puisque la numérisation s’est faite directement en bouche_; pour la réalisation d’éléments stratifiés, le laboratoire aura besoin d’un modèle positif des arcades dentaires en occlusion.
Ce dernier devra être imprimé en résine et son coût s’avère supérieur au prix de revient du modèle en plâtre. La sous-traitance des pièces prothétiques et des modèles peut allonger le temps de traitement du laboratoire. Dans la technique directe, la prothèse est réalisée directement au cabinet ou à proximité immédiate et est posée dans la séance même. Les réalisations prothétiques au cabinet limitent le nombre d’éléments prothétiques solidaires réalisables en général à 3 ou 4 éléments, comme les matériaux aux seuls monoblocs. Ce type de process s’enrichit chaque jour de nouveaux matériaux présentant des évolutions notables tant sur le plan mécanique qu’esthétique.
Quand dentistes et prothésistes voient et parlent de la même chose Fiable, précise et inaltérable, l’empreinte numérique peut simultanément s’afficher sur l’écran de l’un et de l’autre des partenaires du soin dentaire : praticiens et prothésistes. Toutes les étapes de « détourage », de « design » et de conception sont réversibles et modifiables à volonté. C’est dans les cas complexes de grande portée que la précision de l’empreinte numérique sera la plus appréciée sous forme d’un gain de temps et d’une diminution notable des sources d’erreurs. La rapidité des caméras nouvelle génération autorise l’acquisition d’arcades complètes dans des temps comparables à des empreintes traditionnelles.
Outre le confort des patients, la communication immédiate avec des images reflétant la réalité clinique permet une véritable prise de conscience par le patient. Sans parler du stockage des modèles pour répondre aux obligations légales. Dans le cas de l’implantologie, l’utilisation de l’empreinte numérique permettra d’assurer la liaison entre les images 3D, le projet prothétique, le guide chirurgical et la réalisation de la prothèse immédiate transitoire.
Les banques d’analogues, de transferts et de piliers d’implants numérisés permettent des repositionnements dans l’empreinte numérique d’une extrême précision, ce qui offre de nouvelles perspectives d’analyse et de réalisation du projet prothétique implantaire. Avec le numérique, les rôles de chacun évoluent ; si cela implique un changement de protocoles au cabinet, cela a induit naturellement une réorganisation au sein du laboratoire également. L’expérience acquise par les prothésistes reste essentielle et valorisée dans le rôle de conception intégré dans l’utilisation des nouveaux systèmes numériques.
En implanto : plus sur et prédictif
En implantologie, certains logiciels permettent de fusionner les données anatomiques du patient via l’imagerie 3D avec le projet prothétique. Cette fusion des données va permettre de réaliser la planification implantaire : déterminer le nombre, le positionnement et les dimensions des implants, déterminer la nécessité de réaliser une chirurgie pré implantaire d’augmentation osseuse.
Elle va permettre aussi de réaliser un guide chirurgical pour transférer les informations du positionnement des implants au moment de l’intervention chirurgicale. L’évolution des concepts thérapeutiques permet d’augmenter la sécurité et la reproductibilité des traitements avec le moins d’inconfort pour le patient et une diminution de la durée de traitement, en diminuant les suites opératoires. Le traitement implantaire assisté par ordinateur permet de réaliser des interventions chirurgicales moins invasives avec un résultat plus prédictible.