Le rire au cabinet
Le Dr Olivier Guedj partage sa vie entre son cabinet dentaire et le one-man-show. Transporté par la scène, le praticien n'envisage cependant pas de quitter son exercice de chirurgien-dentiste. Confidences.
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Pour le Dr Olivier Guedj, « les vertus du rire salvateur s'appliquent aux consultations médicales ».
Photo Eric Marcel.Dentiste-humoriste : la rime semble trop parfaite pour être plausible. Pourtant, il en est un, Parisien, qui soigne les bouches en journée et les humeurs maussades le soir. Sur les colonnes Morris s’étale en grand l’affiche de son dernier spectacle avec une promesse, qui joue de sa dualité professionnelle : « Le Dr Guedj vous redonne le sourire ».
Scènes de vie croquées
Encouragé par sa mère, le Dr Guedj, Olivier de son prénom, a 13 ans lorsqu’il monte sur scène pour la première fois, à l’occasion d’événements communautaires juifs. Michel Boujenah, un futur « confrère », le remarque et l’incite à poursuivre en ce sens. Mais le veto paternel renvoie ses velléités artistiques au sommeil.
Deux décennies plus tard, à l’aune de la quarantaine, le Dr Guedj et son épouse s’inscrivent à un cours de théâtre amateur. « J’étais relativement à l’aise, elle plus timide ». Il convie un ami, dentiste, au spectacle de fin d’année. « J’avais interprété un sketch, seul en scène (Le bac d’Albert Dupontel) et il a bien aimé ». L’association dentaire Alpha Omega lui confie alors une petite intervention à son gala de clôture à l’hôtel Intercontinental de Paris. La salle est en rires. Ça fonctionne.
Alors, quatre mois avant de souffler ses quarante bougies, il se lance un défi, et se plonge dans l’écriture d’un one-man-show. Son premier opus s’intitulera : « Olivier Guedj a 2 x 20 ans ». Il se fait plaisir, loue une salle de deux cents places et y invite famille, amis et… patients. En se produisant au Théâtre de dix heures, il « réalise un rêve d’enfant ».
Sa carrière est lancée… Les premières années, s’imposant un rythme régulier, il monte sur scène une fois par semaine, dans une petite salle (de 30 à 40 places), avant d’espacer ses performances toutes les deux ou trois semaines, dans une grande salle de 250 places, au République.
La période de confinement accélère sa visibilité et son audience. Elle lui fournit des scènes de vie cocasses, qu’il partage sur les réseaux sociaux dans de courtes vidéos, qui récoltent parfois jusqu’à 250 000 vues.
Patients spectateurs
Chirurgien-dentiste et comédien : deux activités, d’apparente antinomie qui semblent en réalité unies par un lien fort dans la vie du Dr Guedj. On peut même dire qu’elles sont pleinement perméables pour le praticien. Ses patients sont ses premiers spectateurs – il met un point d’honneur à les inviter à ses représentations et teste parfois sur eux ses blagues en premier lieu. Est-ce utile de préciser que l’humour est plus que bienvenu au fauteuil ? Une évidence, démontrée au quotidien dans son cabinet. « Les vertus du rire salvateur s’appliquent aux consultations médicales bien entendu, confirme le Dr Guedj. Il aide le patient à se décontracter, à oublier le stress, la tension d’un soin forcément anxiogène, qu’il accepte davantage. Certains m’ont confié que venir au cabinet est même devenu une récréation alors que c’était une hantise pour eux ».
D’ailleurs, nombreux sont ceux qui de la salle de spectacle ont franchi le seuil du cabinet, désireux de confier leurs dents à ce praticien qui les a conquis sur scène. Sur les trois derniers mois, 20 à 25 % de son activité dentaire a été générée par son public (des personnes venues le voir sur scène ou sur les réseaux). Un joli oreilles-à-bouche, en quelque sorte !
Le théâtre se trouve d’ailleurs à deux pas de son cabinet, dans le 2e arrondissement. Les jours où il joue, il se rend directement, à pied, de sa salle de soins au théâtre, s’offrant deux heures pour « switcher » entre ses deux vies professionnelles, changer sa blouse pour le costume noir.
Soutenu par ses pairs dentaires
Diplômé à 28 ans, Olivier Guedj a choisi les études dentaires, moins interminables que celles de médecine par « envie de travailler dans la santé, apporter un réconfort aux autres ». Sans passion au début, il a fini par trouver exaltantes les troisième et quatrième années grâce à l’apprentissage de l’art dentaire puis la pratique. « Je n’ai jamais douté de mon orientation, dit-il, ni me suis posé la question de la voie artistique ».
Il se dit « le plus connu des inconnus ». En effet, son nom côtoie parfois celui d’humoristes prestigieux mais il ne fréquente pas le show business, assure-t-il. Quand en aurait-il le temps ? « J’ai acquis toute ma légitimité auprès des directeurs de théâtre, je me sens des leurs. En revanche, même si je ne fréquente pas les festivals, je soigne certains professionnels de l’humour, mais je ressens un certain cloisonnement ».
Pas de dénigrement cependant du côté de ses pairs dentaires. « J’ai l’impression que mon parcours force un peu l’admiration, il renvoie une image de moi plutôt sympathique. À l’ADF, je suis régulièrement interpellé par des confrères ». Quant aux patients, on l’a dit, l’accueil est très chaleureux. « Ce que je sais, c’est que je dois être irréprochable, mon état physique est scruté. Le lendemain d’un spectacle, je peux avoir entendu ce genre de suspicions : » On sent que vous êtes fatigué, vous avez les traits tirés… » Mais globalement, je ne pense pas avoir perdu de patients à cause de cela. Ils sont généralement fiers ou du moins amusés par mon activité artistique ».
Serait-il tenté de lâcher le cabinet pour la scène ? « Je suis très heureux dans mon cabinet dentaire, répond-il du tac au tac. Je n’ai jamais envisagé de l’abandonner. J’ai 54 ans, trois enfants étudiants, un certain train de vie ». Tout en confessant que son vrai plaisir, c’est sur scène qu’il le trouve. « C’est une vraie bulle dans la vie de tous les jours. Cela stimule ma créativité. J’aime l’idée d’observer des situations puis de les rapporter avec dérision et que l’on me dise que c’est drôle. C’est un dérivatif au quotidien. Sur scène, je suis transporté. Entendre le public rire pendant une heure et demie non-stop, c’est l’extase ».
Que du plaisir, du bonheur mais… tout de même. Remplir la salle reste un challenge laborieux. D’ailleurs sa maman, très fière de son fils, l’a vite perçu et a craint de le voir se fatiguer. « Elle ne comprenait pas pourquoi, alors que j’ai un métier qui me permet de bien vivre, je m’imposais ce stress qu’est d’aller chercher son public ».
Aujourd’hui, avec 50 000 abonnés sur Facebook, il présente son troisième spectacle. Car sa source d’inspiration – sa vie d’époux et de père principalement – est inépuisable. Comme son enthousiasme.