Vous avez dit brossage ?

Comment inciter ses patients à l'hygiène orale ? Trouver le fil d'un discours et d'un protocole efficace.

Par Audrey Bussière, publié le 12 juillet 2024

Vous avez dit brossage ?

Carton rouge pour la France ! «  Les Français ont inventé le parfum mais ils sont très mauvais en matière d’hygiène. Ils ont la réputation d’être sales, et ils la méritent ! D’ailleurs, ils achèteraient plus de téléphones portables que de brosses à dents.  » Le Dr Marie-Emmanuelle Brétel ne mâche pas ses mots quand il s’agit d’hygiène buco-dentaire à la française. « Pendant les catastrophes climatiques, on pouvait voir ce genre de pancartes sur des cabinets dentaires en Haïti : Keep flossing ! (Continuez de passer le fil dentaire !). Je ne me souviens pas en avoir vu ici en France… ».

Omnipraticienne orientée endodontie, parodontie et prophylaxie installée dans l’Oise, elle a fait le choix de sortir de la convention en 2017. La prévention, c’est son cheval de bataille, elle consacre d’ailleurs un grand pourcentage de ses consultations aux conseils d’hygiène bucco-dentaire. « Je vois entre trois et dix patients par jour car mes séances d’endodontie peuvent durer jusqu’à quatre heures (sans assistante, temps de nettoyage du plateau technique compris) et les séances de parodontie (méthode du Dr Mark Bonner) également  ». Définissant volontiers sa pratique comme une ovni dans la profession, elle consacre un quart et un tiers de ses séances de parodontologie longues à l’enseignement de l’hygiène bucco-dentaire, à la manière d’un cours de musique : c’est l’élève qui travaille sous l’œil et les conseils de son enseignant. « Cela consiste en des séances de pur coaching ».

Hygiène orale : protocole idéal

Si personne ne remet en cause l’importance capitale de l’éducation à l’hygiène orale dans la prévention, comment prodiguer des conseils correctement ? Existe-t-il un protocole idéal ? Le Dr Brétel propose dans son cabinet une à trois séances de coaching pur par semaine, qu’elles soient intégrées dans un traitement parodontal, ou dans le cadre d’un enseignement prophylactique. Chacune dure entre 45 minutes à une heure.

Lors des premières consultations, les conseils en hygiène représenteraient environ 15 % du temps, et « 80 % du message que j’essaye de faire passer  », précise-t-elle. Même en consultation initiale dans le cadre de l’endodontie. On peut également se demander si cette mission devrait revenir essentiellement à l’assistante ou au praticien. Aux deux, mon capitaine ! « Lors d’un séminaire » Itop « avec le Dr Jiri Sedelmayer, professeur d’hygiène dans une université dentaire d’Allemagne, créateur du laboratoire Curaprox et parmi les pionniers en matière de prophylaxie, l’un des conférenciers préconisait quatre séances de 45 minutes à une heure dont trois avec l’assistante dentaire et une avec le praticien », relate le Dr Brétel. Un parcours constitué de deux premiers rendez-vous avec l’assistante, afin de voir les bases (à condition que l’assistante y soit parfaitement formée). Le rendez-vous suivant avec le praticien et le dernier avec l’assistante.

« Le principe est simple, c’est comme un cours de guitare : Le patient apprend en faisant, les professionnels corrigent, puis on répète le geste jusqu’à obtenir efficience et fluidité, le patient pouvant observer les changements qu’il se procure en bouche ». Le but étant de rendre le patient autonome dans sa santé bucco-dentaire.

Du temps pour le fil dentaire

Sur quels produits convient-il alors d’insister ? Pour le Dr Brétel, le trio gagnant, c’est : le fil dentaire, la brossette et la brosse à dents. « L’hydropulseur, oui bien sûr c’est mieux que rien, c’est ludique, spectaculaire. Mais ça ne fait qu’enlever la feuille de salade, tel qu’utilisé classiquement par les patients. Cela ne nettoie pas, sauf si l’on consacre quatre secondes par espace interdentaire d’un côté et de l’autre, soit huit secondes par espace proximal donc trois minutes pour toute la bouche. Ce, avant le brossage des dents ». Mais s’il n’y en avait qu’un seul à retenir pour elle, ce serait indéniablement le fil, « la Rolls » de l’hygiène bucco-dentaire. «  Tellement difficile à passer au début, si ardu à enseigner, boudé par les parodontistes, méconnu du grand public, il est pourtant capital. Certes, il faut vraiment être motivé pour l’enseigner et s’adapter à chaque personnalité, à chaque dextérité. Le travail de départ rebute, je comprends. Mais c’est tellement une question de bon sens. Le fil, bien passé, glisse le long des faces proximales jusque dans le sulcus y délogeant la plaque. D’ailleurs, nous faisons bien la distinction entre brossage (avec la brosse à dents) et nettoyage (fil, brossette, brosse, gratte-langue, etc.). C’est d’ailleurs en interdentaire que tout commence, comme le rappelle le Dr Sedelmeyer : les atteintes carieuses comme parodontales ».

Pour enseigner ou perfectionner le seul usage du fil, il faut compter environ trente-cinq minutes, poursuit-elle. Cela implique une préhension correcte de l’outil, pour placer la pulpe des doigts contre la face à nettoyer tout en maintenant une tension efficace. Réussir à le passer tant en mésial qu’en distal, sans oublier la face arrière de la dernière du fond, et sans traumatiser la gencive. « Pour que l’enseignement au passage du fil soit bien fait et non blessant, il faut que les praticiens prennent le temps et trouvent les mots justes en fonction des personnalités, du niveau d’habileté manuelle ».

Rajouter les brossettes

Ensuite, et seulement si le patient a déjà bien compris l’usage du fil, on peut rajouter les brossettes pour certains endroits. « Je sais que les brossettes ont le vent en poupe mais pour moi, ce n’est pas l’outil le plus efficace, même s’il est bien plus facile à enseigner. Il faut soutenir le patient, le porter. Car c’est très long, très fastidieux. Il faut parvenir à le motiver afin qu’il trouve le bon geste. Mais le passage du fil, cela représente clairement plus de la moitié du nettoyage  ». Pour Marie-Emmanuelle Brétel, le protocole idéal se situe entre la méthode du Dr Mark Bonner (où le fil a une place prépondérante) et celle de Itop Curaprox (où le fil est utilisé dans les secteurs antérieurs et les brossettes en secteurs latéral et postérieur). « J’adorerais pouvoir former de futur(e)s assistant(e)s de niveau 2 en hygiène bucco-dentaire », s’exclame-t-elle.

Ses patients réalisent bien plus l’importance de l’hygiène bucco-dentaire, dit-elle, depuis sa sortie de la convention et qu’ils doivent mettre la main au porte-monnaie pour traiter des lésions carieuses dues à leur négligence. Elle l’exprime dans le détournement de l’un des slogans de l’organisme de formation Parosphère : « Vous n’êtes pas obligé de nettoyer toutes vos dents, seulement celles que vous voulez garder !  ».

Bien sûr, le faible nombre d’heures d’enseignement à l’hygiène orale des professionnels est criant et délétère pour la praticienne : « Cinq heures de cours maximum dans tout le cursus… Tout est dit  ». Ce manque de formation, donc de connaissances des professionnels rejaillit sur le grand public. « Les séances d’éducation à l’hygiène ne sont pas intégrées à la CCAM et peu de leaders d’opinion, à ma connaissance, défendent ouvertement l’usage du fil dentaire  ». Loin du consensus, il suscite même plutôt débat. « En effet le fil mal placé, c’est soit totalement non efficace, soit générateur de traumatismes au niveau de la gencive  ».

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