Dispositif médical : de sa conception à votre table d'opération
La mise sur le marché d'un produit dentaire nécessite des données cliniques. C'est la voie principale pour obtenir son marquage CE.
Nous pourrions résumer la définition d’un dispositif médical (DM) comme un produit qui participe aux soins mais qui n’est pas un médicament (bague, scalpel, implant dentaire, aligneur…). Avant de s’engager dans la commercialisation d’un nouveau produit, il est primordial de déterminer son statut (par exemple : dispositif médical, appareil de bien-être, cosmétique, médicament…). Une réglementation et une évaluation spécifique existent pour chacun de ces statuts. Dans le cas des dispositifs médicaux, les fabricants doivent se conformer au Règlement européen 2017/745 applicable depuis mai 2021 (MDR 2017/745).
Parcours nécessaire d’un dispositif médical
Nous pouvons schématiser le développement d’un DM en sept grandes étapes (voir Figure 1). La conception est initiée dans la majorité des cas par les utilisateurs, les chirurgiens-dentistes dans votre domaine. Les ingénieurs permettent ensuite de rendre possible l’idée de l’inventeur. Une fois le premier prototype construit, une phase de vérification est nécessaire. On y retrouve les études animales pour vérifier notamment la biocompatibilité mais aussi les tests mécaniques, ou encore numériques pour les dispositifs médicaux intégrant des logiciels.
Lorsque les résultats de cette étape sont acceptables, le dispositif médical doit être validé. Cette validation comporte deux volets. La première consiste à vérifier et minimiser les risques d’erreur d’utilisation en faisant tester la manipulation et le design du DM à des chirurgiens-dentistes. Le second volet consiste à utiliser le produit chez le patient. Cela se traduit par la mise en place d’une étude clinique ou, lorsque le produit n’est pas considéré comme innovant, en utilisant des données disponibles sur des dispositifs équivalents dans la littérature scientifique. Depuis l’entrée en vigueur du MDR (Medical device regulation) 2017/745, il est de plus en plus difficile d’éviter la case « investigation clinique ».
Tous les résultats de ces tests et études sont regroupés, analysés et rédigés dans un dossier technique. Ce dossier technique sera évalué par un organisme notifié (ON) choisi par l’industriel pour obtenir le marquage CE (à l’exception de certains DM). Cette évaluation peut être longue et demander parfois 12 mois. Ces organismes notifiés sont évalués, désignés et contrôlés par une autorité compétente, en France l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Pour mémoire, les DM peuvent être mis sur le marché, et par conséquent dans votre cabinet, uniquement si le marquage CE a été obtenu (sauf exception). Une fois ce marquage CE obtenu, une surveillance doit être mise en place par le fabricant. Dans le cadre de cette surveillance, ce nouveau règlement incite fortement les industriels à mettre en place des études cliniques, appelées étude clinique après commercialisation. Elles permettent de récupérer des données en « vie réelle » (real word data) pour continuer à confirmer la sécurité et les performances du produit sur une population à plus grande échelle.
Accéder aux données cliniques d’un dispositif médical
Le règlement impose pour les dispositifs médicaux implantables et les produits de classe III, considérés à haut risque, de publier en libre accès un document décrivant la sécurité et les performances cliniques du produit. Vous devriez ainsi avoir accès à un résumé des études et des données cliniques sur ces DM. Ce document est appelé dans le jargon réglementaire RCSPC (Résumé des caractéristiques de sécurité et des performances cliniques). Il devrait être disponible dans la base de données européenne Eudamed en 2024-2025.
Exigences en matière de données cliniques
La réglementation et les normes évoluent sans cesse, obligeant les fabricants à maintenir une veille règlementaire, normative et scientifique. Au-delà des nouvelles exigences en termes de classification, d’étiquetage et de transparence à travers la mise en place d’une base de données européenne, Eudamed, ce nouveau règlement renforce les exigences en matière de données cliniques (qualité et quantité). En effet, ce nouveau cadre règlementaire a pour objectif d’augmenter et de garantir un niveau toujours plus élevé de protection pour les patients et les utilisateurs. À titre d’illustration, nous pouvons prendre l’exemple d’un dossier d’évaluation clinique. Ce dossier rassemble l’ensemble des données cliniques et conclu sur la sécurité, les performances cliniques et les bénéfices cliniques du DM. En 2014, ce dossier pouvait faire environ 10 pages, aujourd’hui la moyenne se rapproche plus des 200.
De plus, ce règlement vient rendre obligatoire la mise en place d’investigations cliniques avant la commercialisation du produit. En effet, le principe d’équivalence qui permet de démontrer que son produit est similaire avec un autre produit déjà présent sur le marché est considérablement réduit. Par exemple, si une société souhaite fabriquer et vendre un implant zircone pour compléter son catalogue en reprenant les caractéristiques de base d’un implant concurrent, il peut y avoir des différences comme la connectique ou la profondeur des filets. Il y a quelques années, avant l’application du MDR 2017/745, il « suffisait » de démontrer que cet implant concurrent était similaire au sien et que les différences n’impactaient pas la sécurité et les performances cliniques de son propre implant. Ceci permettait de conclure sur la sécurité et les performances de son implant et d’obtenir le marquage CE sans réaliser d’investigation clinique au préalable.
Investigation clinique
Aujourd’hui, avec le nouveau cadre législatif, cette voie de l’équivalence ne peut plus être utilisée, notamment pour les produits implantables (sauf exception). Par conséquent, l’investigation clinique devient la voie principale pour obtenir son marquage CE et mettre son produit sur votre table de soins. Pour les dispositifs médicaux sans innovations majeures, hier l’investigation clinique était l’exception, aujourd’hui elle devient la norme. Cela implique un temps plus long et un coût plus élevé pour les fabricants. Cela implique également une mobilisation plus importante des praticiens et une sensibilisation aux investigations cliniques (monitoring, responsabilité d’investigateur principal, déclaration d’événement indésirable, etc.).
Ces études ne peuvent se faire qu’avec la mise en place d’une collaboration étroite avec les chirurgiens-dentistes afin de collecter l’ensemble des données nécessaires pour évaluer la sécurité, les performances et les bénéfices cliniques chez les patients. Ces données cliniques sont nécessaires et obligatoires pour la mise et le maintien sur le marché des produits. Elles sont également nécessaires pour une prise en charge par la collectivité, autrement dit l’Assurance maladie dans le cas d’un dispositif médical remboursable.
Vos dossiers médicaux conservent la plupart de ces données cliniques (produit utilisé, effet indésirable, radiographie, résultat clinique, casse…). C’est la raison pour laquelle de nombreuses sociétés s’intéressent aux données de vos patients pour pouvoir continuer à maintenir leurs dispositifs médicaux sur vos tables de soins.
C’est en continuant et en renforçant cette association entre chirurgiens-dentistes et fabricants que les nouveaux dispositifs médicaux et protocoles de soins peuvent apporter aux patients les meilleurs traitements. Il peut être difficile pour un fabricant de trouver des chirurgiens-dentistes motivés pour participer à des études souvent chronophages. Cette difficulté augmente lorsqu’une investigation clinique a pour objet de collecter des données sur un DM utilisé depuis des années et considéré empiriquement comme efficace. C’est la raison pour laquelle il est primordial de continuer à sensibiliser les professionnels de santé sur le cycle de vie et les exigences règlementaires sur les dispositifs médicaux qu’ils utilisent au quotidien. Le partenariat entre praticiens et industriels, de la conception à la validation clinique, était important hier et devient essentiel aujourd’hui.
Auteur
Ludovic HUET
Chef de projets en affaires cliniques
Créateur de la chaine Youtube Péliclinic, dédiée aux affaires cliniques des dispositifs médicaux