Réhabilitation pluridisciplinaire d'un sourire

Présentation d'un traitement collaboratif entre orthodontiste et chirurgien-dentiste esthétique illustrant comment l'orthodontie numérique et l'intelligence artificielle redéfinissent les standards des soins dentaires.

Drs Audrey Benhamou Giuly, Gilda Mirghane, Jeanne Bardinet, publié le 11 mars 2025

Réhabilitation pluridisciplinaire d’un sourire

L’orthodontie a connu une transformation sans précédent au cours des dernières décennies grâce à l’intégration de technologies avancées telles que la modélisation 3D, l’intelligence artificielle (IA) et les outils numériques de planification. Ces innovations ont permis de repenser les traitements orthodontiques : ils sont désormais plus précis, plus individualisés et améliorent l’expérience du patient.

Lors des premières consultations, une question revient fréquemment :  » À quoi ressemblera mon sourire une fois le traitement terminé ? « . Ce besoin de projection esthétique s’accompagne souvent d’interrogations sur la durée, les étapes du traitement orthodontique et la chronologie des rendez-vous avec les différents praticiens intervenants dans le traitement.

Dans le cadre des traitements complexes nécessitant une approche pluridisciplinaire, ces questions prennent une importance particulière. Comment l’orthodontiste peut-il répondre à ces attentes tout en assurant une coordination optimale avec les autres intervenants ?

Les objectifs orthodontiques pré-esthétiques sont importants à définir en amont du traitement. Les traitements orthodontiques et les soins de restauration sont généralement planifiés séparément, alors que l’optimisation des résultats repose sur l’intégration des deux approches.

Une planification appropriée, l’individualisation du traitement et la communication entre le dentiste esthétique et l’orthodontiste sont indispensables.

L’arrivée de la plateforme Smile Architect d’Invisalign révolutionne la prise en charge des traitements ortho-restauratifs. L’orthodontiste peut ainsi planifier le traitement, partager la simulation avec l’équipe pluridisciplinaire et adapter les mouvements dentaires avant la validation du traitement afin de répondre aux objectifs esthétiques et fonctionnels de la réhabilitation prothétique.

La collaboration étroite entre les praticiens permet d’établir une feuille de route précise pour guider chaque étape du traitement.

Cet article met en avant le traitement de Sarah, jeune adolescente présentant une agénésie de la 12 et une 22 riziforme, nécessitant une réhabilitation pluridisciplinaire. Il permet de montrer la façon dont un traitement ortho-restauratif peut être mené au cabinet de nos jours. Le protocole détaillé d’utilisation de l’outil Smile architect met en lumière les capacités du logiciel à relever des défis complexes, intégrant harmonieusement orthodontie et restaurations prothétiques.

Première consultation et diagnostic (Fig.1 à 4)

La patiente Sarah se présente en consultation d’orthodontie accompagnée de sa maman. Elle évoque une volonté de réhabilitation de son sourire. La maman, présentant elle-même des agénésies, soupçonne une situation semblable chez sa fille.

Avec l’évolution de la dentition, c’est la dent terminale dans chaque groupe de dents qui est le plus souvent absente (3e molaire, 2e prémolaire et incisive latérale). L’agénésie affecte entre 2 % à 10 % de la population et c’est la 3e molaire qui est le plus souvent manquante, suivie des incisives latérales maxillaires ou des 2es prémolaires mandibulaires.

La réussite de nos traitements orthodontiques repose sur l’individualisation de la prise en charge afin de prendre une décision concernant la gestion des espaces. Pour ce cas clinique, cette individualisation repose principalement sur la malocclusion, le potentiel de croissance de la patiente et les attentes de cette dernière.

L’observation clinique en orthodontie commence par l’analyse du visage. Ici, la patiente a un visage harmonieux, symétrique, un profil rectiligne avec des lèvres fines. Les rapports dento-gingivaux-labiaux sont équilibrés.

L’examen endobuccal montre une classe II dentaire, avec absence de 12 sur l’arcade et une 22 riziforme. L’examen radiographique (panoramique et céphalométrique) indique que la patiente est en cours de croissance, avec une classe I squelettique sur un schéma facial normodivergent. Elle présente des racines courtes généralisées et une agénésie de la 12.

Ce dernier élément, et les discussions avec la patiente, nous fait préférer un traitement orthodontique par technique de gouttières Invisalign afin de gérer au mieux les forces orthodontiques, les mouvements dentaires et aussi et surtout de permettre l’usage de l’outil numérique Smile architect pour combiner la réhabilitation esthétique et le traitement orthodontique.

Fig.1a à c

Fig.2a à e : Photographies endo-buccales de pré-traitement.

Figures 3 & 4 : Radiographies

ÉTAPE 2 : ANALYSE APPROFONDIE ET SIMULATION DES OPTIONS THÉRAPEUTIQUES (FIG.5 À 10)

Le logiciel Smile Architect Invisalign permet d’intégrer les mouvements dentaires dans le visage de la patiente. Cette vision globale du patient en statique et en dynamique permet d’optimiser les
résultats esthétiques. On peut visualiser directement l’impact que peuvent avoir les mouvements dentaires choisis dans le résultat.

Si la littérature préconise de privilégier la fermeture des espaces dans le cadre d’agénésies, deux approches thérapeutiques ont été envisagées en secteur 1.

  1. Ouverture de l’espace 12 pour rétablir une classe I dentaire et aménager l’espace pour une restauration prothétique de la 12 (bridge cantilever céramique sur 12).
  2. Fermeture de l’espace 12 avec substitution par la 13 (associée ou non à une coronoplastie de la canine). Le logiciel permet de générer plusieurs scénarios de traitement à partir des données initiales, intégrant aussi bien les choix orthodontiques que les aspects prothétiques.
    Concernant la 22, il a été établi qu’une facette serait mise en place pour harmoniser le sourire. L’évolution des techniques en dentisterie tend vers une économie tissulaire de la dent.
    Nous devons aller vers cet idéal et être le moins invasif possible.
    Le logiciel nous permet, grâce à l’outil « masse », d’optimiser nos mouvements dentaires au service de la prothèse et de quantifier la nécessité de l’aménagement dentaire (réduction et/ou ajout).
    L’outil « restauration », quant à lui, permet de valider avec le dentiste esthétique et la patiente le schéma prothétique.

Fig. 5 à 10

CRITÈRES ESTHÉTIQUES PRIS EN COMPTE POUR LA PLANIFICATION

La phase restauratrice est assurée par le dentiste esthétique. Nous nous rapportons aux critères esthétiques qui assurent la réussite du traitement. Ils ont été décrits par Fradeani en 2007. Celui-ci définit un cahier des charges sous forme de check list esthétique.

  • Sur le plan de l’analyse dentaire
    Dans le cas de Sarah ses incisives centrales nous serviront de guide à suivre afin de les imiter dans des proportions plus petites pour les latérales.
    – La forme des dents est analysée : carré dans le cas de Sarah.
    – Le rapport hauteur largeur des incisives centrales est analysé également : il est admis qu’un rapport entre 75 et 80 % serait idéal. Nous choisirons pour les incisives latérales des proportions semblables à celles des centrales. En effet, dans le cas de Sarah même si ses proportions sont de 86 % aucune modification de ses centrales n’est nécessaire. La patiente est très jeune et nous gardons en priorité l’économie tissulaire.

  • Sur le plan fonctionnel
    Afin de favoriser la longévité de la restauration nous allons devoir prendre en compte deux aspects.
    – L’espace prothétique nécessaire afin d’obtenir des épaisseurs de matériaux correctes. Pour l’ailette de notre bridge cantilever une épaisseur entre 0,5 et 1 mm est requise en fonction du choix de matériau zircone ou disilicate de lithium Emax. Ce qui va se traduire par un surplomb plus ou moins important demandé aux collègues orthodontistes. En effet, ce surplomb nous permettra de suivre la philosophie d’économie tissulaire et de réduire l’épaisseur de préparation sur la 11.
    – Le futur schéma occlusal : en latéralité et en propulsion afin d’éviter toute surcharge occlusale sur 12, 11 et 22.

  • Sur le plan biologique
    La forme des dents choisies sera celle qui permet :
    – un alignement des collets, élément primordial dans l’harmonie du sourire,
    – un profil d’émergence facilitant le nettoyage et l’élimination du bol alimentaire ; facteur clé afin de réduire l’inflammation gingivale.
    Dans le cas de Sarah un aménagement gingival a été réalisé afin de modifier son biotype gingival sur la 12 qui était très fin et le rendre épais grâce à une greffe de conjonctif enfoui. Une ovalisation de la gencive en regard du pontique de 12 a également été faite. Afin de favoriser un profil d’émergence correct.
    Le maintien des papilles essentielles dans la réussite de l’esthétique du sourire.
    Le logiciel permet au chirurgien-dentiste esthétique de vérifier en collaboration avec l’orthodontiste si la simulation proposée remplit tous les prérequis cités ci-dessus et de modifier si besoin certains paramètres.

Étape 3 : validation et communication (Fig.11)

La validation du plan de traitement est une étape essentielle dans le processus, et le logiciel se distingue par ses outils de communication innovants. Une fois le plan finalisé, il a été présenté à la patiente et à ses parents à l’aide des fonctionnalités interactives et visuelles du logiciel.

Compte tenu de l’âge de la jeune fille, des possibilités de croissance faciale résiduelle, des lèvres fines et après une discussion avec la patiente et ses parents nous choisissons la solution d’ouverture de l’espace et privilégions la réalisation d’un bridge antérieur en céramique en cantilever pour remplacer 12 et d’une facette sur 22 car elle offrait les meilleurs résultats esthétiques et fonctionnels à long terme.

Les différentes simulations de traitement permettent non seulement au praticien de comparer les différentes approches, mais aussi de partager avec le patient et ses parents une visualisation claire des choix possibles.

Le séquençage du clincheck permet à la patiente de visualiser à quelle étape/aligneur l’espace pour 12 sera créé et visible.

orthodontie rehabilitation sourire

Fig.11 : Décision thérapeutique

Visualisation du visage du patient

Le logiciel va au-delà d’une simple simulation des mouvements dentaires en intégrant des images du visage du patient dans le plan de traitement. Cela permet de :

  • évaluer l’impact global sur l’esthétique faciale. Les mouvements dentaires et les options restauratrices sont analysés en fonction de leur influence sur les lèvres, le sourire et l’équilibre facial global,
  • renforcer la communication avec le patient. Voir leur propre visage associé aux résultats projetés aide les patients à mieux comprendre le traitement et à se projeter dans le résultat final.

Renforcement de l’adhésion au traitement

La présentation de ces simulations dynamiques en 3D, combinée aux projections faciales, a eu un impact significatif sur la patiente et ses parents. Ils ont pu visualiser les étapes du traitement et comprendre les bénéfices à long terme de la solution choisie. Cette transparence a permis de :

  • instaurer une confiance renforcée dans le plan de traitement,
  • favoriser une prise de décision collaborative,
  • optimiser l’adhésion au traitement grâce à une compréhension claire des objectifs et des résultats attendus.

Étape 4 : déroulement du traitement

La phase clinique s’est déroulée en trois temps.

1. Phase orthodontique : utilisation d’aligneurs Invisalign pour aligner, repositionner la 22 et créer l’espace nécessaire pour la 12 et coordonner les arcades en classe I.

2. Phase restauratrice : collaboration avec le dentiste prothésiste pour concevoir un bridge cantilever et une facette en céramique parfaitement intégrée.

Étapes du traitement prothétique

– Essayage du mockup

impression mockup

Fig.12 : Impression du mockup avec maquillage des pontiques pour stabiliser le traitement.

Il est réalisé à partir du wax-up que le prothésiste nous fournit en suivant la modélisation Smile architect.

Cette étape nous permet de valider le design des restaurations avec la patiente.

–  Aménagement gingival
Réalisation de l’ovalisation afin d’optimiser le profil d’émergence de 12 et greffe de conjonctif enfoui au niveau de 22 afin de transformer le biotype fin en épais.

– Temporisation
Pendant la cicatrisation de la muqueuse la gouttière sera aménagée pour :

  • comprimer la gencive au niveau de 12 afin de la modeler et de maintenir l’ovalisation réalisée, éliminer tout contact de la gouttière sur le site de la greffe en 22.

– Préparations dentaires
– La préparation est faite a minima grâce au surplomb aménagé pour l’ailette de 11. Une attention particulière a été portée à la connectique du bridge cantilever qui reste la zone de fragilité maximale. Pour des raisons d’économie tissulaire un bridge cantilever en zircone a été réalisé.

– Essayage
La difficulté pour le prothésiste portera sur les éléments suivants :

  • La gestion des propriétés optiques diverses car on utilise deux matériaux différents pour les restaurations. Le bridge cantilever sera en zircone et la facette en Emax. Les substrats sont également différents, ce qui influencera la transmission de la lumière
  • La gestion des propriétés optiques diverses car on utilise deux matériaux différents pour les restaurations. Le bridge cantilever sera en zircone et la facette en Emax. Les substrats sont également différents, ce qui influencera la transmission de la lumière.
  • La reproduction de la micro et la macro-anatomie des dents naturelles de la patiente. En effet la patiente est jeune et il est fréquent dans ce cas d’avoir des dents très caractérisées.

– Pose

  • Équilibration occlusale.
  • La maintenance à l’aide du fil dentaire et des brossettes interdentaires est enseignée à la patiente lors de cette séance.

Fig.13a à 14b

Fig.15a à 15 b

Fig.16a à 16e

Fig.17a à 17 b

– Nombreux contrôles
– Les contrôles seront réalisés afin de vérifier la stabilité occlusale et le bon suivi des conseils d’hygiène orale.
Une fois la phase orthodontique pré-prothétique terminée, le maintien des résultats obtenus le temps de la réalisation de la partie prothétique est indispensable.
Avec le logiciel, il est possible d’extraire le fichier STL de la position des dents finale en intégrant les prothèses conceptualisées initialement. Cela permet non seulement de maintenir les espaces mais aussi de permettre une temporisation plus esthétique pour la patiente. Des gouttières provisoires sont alors imprimées directement au cabinet. Dans un souci d’esthétique, les pontiques ont été maquillés.
En plus d’octroyer la temporisation nécessaire à l’élaboration prothétique, les gouttières imprimées au cabinet ont permis de participer à l’aménagement muco-gingival.

Fig.18a à 18d : Photographies endo-buccales

Fig.19a, b : Trois mois postopératoires.

Étape 5 : contention (Fig.20 à 24)

Fig. 20a à 21e

Fig. 22 à 24

L’empreinte servant à la conception prothétique permet de générer avec une imprimante de fil 3D (bender) le fil de contention à la mandibule.

Au maxillaire, étant donné le bridge cantilever, pour ne pas devoir augmenter le surplomb davantage et pour éviter de fragiliser la prothèse, il a été convenu de maintenir l’arcade maxillaire avec les gouttières de contention elles aussi imprimées au cabinet.

Conclusion

Les traitements orthodontiques ont pour but la correction des malocclusions, l’amélioration de l’esthétique et la rééducation des dysfonctions. L’absence congénitale de dents permanentes est un problème de plus en plus courant dans nos cabinets.

Le cas de Sarah démontre comment l’orthodontie moderne, couplée à des outils numériques avancés, peut résoudre des situations complexes. La coordination entre orthodontiste et chirurgien-dentiste esthétique est essentielle pour garantir une prise en charge globale, qui respecte à la fois les aspects fonctionnels et esthétiques du traitement. Grâce à l’utilisation des gouttières d’alignement et des simulations numériques, Sarah a pu bénéficier d’un traitement personnalisé, à la fois efficace, discret et harmonieux, respectant l’équilibre de son sourire et de son profil facial.

Ce cas illustre comment l’orthodontie numérique et l’IA redéfinissent les standards des soins dentaires et deviennent des véritables partenaires indispensables dans la conception de nos plans de traitement.

Lectures conseillées

– Principles and biomechanics of aligner treatment. Nanda, Castroflorio, Garino et Ojima.

– Réhabilitation en prothèse fixée. Volume 1 et 2. Mauro Fradeani. Édition Quintessence International.

– Édentement unitaire : le bridge collé cantilever. Florian Nadal. Édition CDP.

Autrices

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Dr Audrey Benhamou Giuly
Spécialiste qualifiée en orthopédie dento-faciale.
Exercice libéral depuis 2018 (Puteaux).
Ancienne interne des hôpitaux de Toulouse.

Dr Gilda Mirghane
Spécialiste qualifiée en orthopédie dento-faciale.
Exercice libéral depuis 2018 (Puteaux).
Ancienne interne des hôpitaux de Toulouse.

Dr Jeanne Bardinet
Exercice libéral depuis 2013 (Puteaux) orienté esthétique.
Attachée hospitalière – hôpital Louis Mourier.
Chef de clinique universitaire (2022 à 2024)

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